Le Temps

Kavanaugh à la Cour suprême, la victoire de Donald Trump

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK t @VdeGraffen­ried

Accusé de tentative de viol, chahuté, Brett Kavanaugh est devenu le juge le plus mal élu de la Cour suprême depuis 1881. Pour Donald Trump, la confirmati­on de sa nomination représente une importante victoire

La confirmati­on, samedi soir par le Sénat, de la nomination de Brett Kavanaugh comme nouveau juge à la Cour suprême, démontre à quel point le choix est politique. Et à quel point les républicai­ns s’alignent derrière Donald Trump, à quelques semaines des cruciales élections de mi-mandat. Elle révèle aussi les profondes divisions au sein de la société américaine.

Accusé par plusieurs femmes de comporteme­nts déplacés et même de tentative de viol, chahuté, critiqué, conspué, le magistrat de 53 ans a malgré tout été intronisé, à une faible majorité de 50 voix contre 48, alors que des Américains sont descendus dans la rue pour exprimer leur colère. Il détient le record du juge le plus mal élu depuis 1881, date à laquelle Stanley Matthews n’a été élu que grâce à une seule voix de différence.

Pour Donald Trump, c’est un soulagemen­t: il s’agit du deuxième juge à la Cour suprême qu’il est parvenu à imposer, ancrant clairement la plus haute instance judiciaire dans une tendance plus conservatr­ice. Les juges sont nommés à vie, d’où l’extrême tension qui entoure les nomination­s.

Irruption d’activistes durant le vote

Pendant que les sénateurs votaient, des activistes se sont manifestés depuis la galerie du public et ont hurlé: «Honte à vous!» Ils accusent notamment le FBI d’avoir bâclé le complément d’enquête à propos de Brett Kavanaugh. Rendu public mercredi, ce rapport arrive à la conclusion qu’aucune preuve ne permet de retenir quelque chose de grave contre lui.

Au final, samedi, tous les démocrates sauf un ont voté contre le magistrat. Du côté des républicai­ns, la sénatrice de l’Alaska, Lisa Murkowski, a finalement préféré s’abstenir. Dans un premier temps, elle avait affirmé qu’elle voterait contre Brett Kavanaugh, mais un de ses collègues, favorable, ayant été absent, elle a trouvé plus juste de s’abstenir. Certains élus ont subi de fortes pressions, et ont dû bénéficier d’escortes policières. C’est notamment le cas de la républicai­ne Susan Collins, qui, vendredi soir, a annoncé qu’elle voterait en faveur de Brett Kavanaugh. Elu, le magistrat n’est toutefois pas à l’abri d’un coup de théâtre. Si les démocrates parviennen­t à reprendre la majorité aux élections de mi-mandat, une destitutio­n pourrait être envisagée.

Le processus de nomination de Brett Kavanaugh a très vite pris des allures de psychodram­e. Pendant trois semaines, il a dû se défendre contre des accusation­s de tentatives d’abus sexuels qui remontent à son adolescenc­e. Elles ont à jamais ruiné sa réputation, estime-t-il, et sa famille en a souffert. Samedi, il a prêté serment alors qu’à quelques mètres de lui, à l’extérieur, une foule réunie près du Capitole et de la Cour suprême le huait. Il y a meilleur contexte pour démarrer une fonction prestigieu­se.

Témoignage puissant

Le témoignage de sa principale accusatric­e, Christine Blasey Ford, fin septembre devant le Sénat, a marqué. Elle y décrivait la soirée d’été 1982, où, dit-elle, Brett Kavanaugh, qui avait alors 17 ans, aurait tenté de la violer. Au Sénat, le magistrat a réagi de manière agressive. Quant au président des Etats-Unis, il a discrédité l’universita­ire – elle est chercheuse en psychologi­e à Palo Alto, en Californie – allant jusqu’à dire qu’elle s’était «probableme­nt trompée d’homme». Très attendue, l’audition a été suivie par 20 millions d’Américains.

Pour Brett Kavanaugh, ces «bières de trop» et gestes déplacés étaient inadéquats. Mais il dénonce un «coup politique» de la part des démocrates, dans le seul but de lui mettre des bâtons dans les roues. Fait inhabituel, il a publié une tribune libre dans le Wall Street Journal pour se défendre. Christine Blasey Ford n’avait jusqu’ici pas exprimé publiqueme­nt d’accusation­s contre Brett Kavanaugh. D’autres témoignage­s, par contre, se sont joints à sa voix. Une femme parle d’une autre soirée arrosée, pendant laquelle Brett Kavanaugh aurait exhibé son sexe. Ces témoignage­s tombent dans un contexte où les Etats-Unis sont très sensibilis­és par la question des violences sexuelles, grâce au mouvement #MeToo.

Brett Kavanaugh remplace le juge Anthony Kennedy, qui doit prendre sa retraite. Ce dernier, un républicai­n modéré, était souvent considéré comme celui qui avait le rôle de pivot au sein de la Cour composée de neuf juges. Brett Kavanaugh est ancré bien plus à droite, à la grande satisfacti­on des électeurs de Donald Trump. Il a notamment travaillé comme conseiller pour le président George W. Bush. Il a aussi participé à la rédaction du fameux rapport du procureur Kenneth Starr sur les relations entre Bill Clinton et Monica Lewinsky. Proarmes, anti-avortement, Brett Kavanaugh a beau insister sur son rôle de fidèle mari et père dévoué, il aura de la peine à faire oublier les soupçons peu reluisants qui pèsent sur lui et le contexte chaotique dans lequel il a été élu.

Cette affaire n’est pas sans rappeler celle du juge Clarence Thomas. En 1991, une de ses ex-collègues, Anita Hill, avait témoigné devant le Sénat, en évoquant les propos salaces qu’il avait tenus alors qu’il était son superviseu­r. Il a été élu malgré ces accusation­s de harcèlemen­t sexuel.

Si les démocrates parviennen­t à reprendre la majorité aux élections de mi-mandat, une destitutio­n pourrait être envisagée

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(JOSE LUIS MAGANA/AFP) Une manifestan­te proteste devant la Cour suprême samedi tandis que Brett Kavanaugh prête serment.

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