Le Temps

L’étrange disparitio­n du patron d’Interpol

Meng Hongwei, président de l’organisati­on internatio­nale de la coopératio­n policière, n’a plus donné signe de vie depuis un séjour dans son pays, fin septembre. L’office chinois de lutte contre la corruption a annoncé dimanche qu’il faisait l’objet d’une

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Une enquête pour disparitio­n a été ouverte par le parquet de Lyon, vendredi 5 octobre, et confiée à la division criminelle de la Direction interrégio­nale de la police judiciaire lyonnaise, à la suite de la volatilisa­tion du président d’Interpol fin septembre, a confirmé au Monde une source judiciaire. Meng Hongwei, le président de l’organisati­on internatio­nale de la coopératio­n policière, dont le siège est à Lyon, n’a plus donné signe de vie depuis un séjour en Chine.

D’après Europe 1, qui a révélé l’informatio­n, c’est son épouse qui a signalé jeudi sa disparitio­n aux autorités françaises. Mais selon nos informatio­ns, il ne s’agirait pas d’une disparitio­n classique, au motif criminel: les enquêteurs privilégie­nt à ce stade la piste d’une mise au secret temporaire de M. Meng par les services de Pékin, dans le cadre de règlements de comptes internes au pouvoir chinois.

Le South China Morning Post, quotidien en anglais de Hongkong, se fondait, lui, sur une source anonyme pour affirmer vendredi que Meng Hongwei était désormais «sous enquête en Chine» après avoir été emmené pour interrogat­oire dès son atterrissa­ge sur le sol chinois la semaine dernière. Des allégation­s confirmées dimanche soir par l’office chinois de lutte contre la corruption.

«C’est une affaire qui relève des autorités compétente­s, à la fois en France et en Chine», a pour sa part réagi Interpol dans un communiqué, qui rappelle que c’est son directeur général qui est chargé de son fonctionne­ment au quotidien.

«La France s’interroge» sur cette situation, a fait savoir de son côté le Ministère de l’intérieur, vendredi après-midi, se disant «préoccupé» par les «menaces dont son épouse a fait l’objet» sur les réseaux sociaux et par téléphone, en amont de son appel à la police pour signaler la disparitio­n de son mari. Elle a été placée sous protection.

La nomination de M. Meng à la tête d’Interpol, fin 2016, en remplaceme­nt de l’actuelle patronne de la Direction centrale de la police judiciaire, Mireille Ballestraz­zi, avait été vivement critiquée par les organisati­ons de défense des droits de l’homme. Elles avaient souligné le risque de confier une telle fonction à un officiel d’un pays connu pour son absence de garantie des droits fondamenta­ux.

Pékin, de son côté, y voyait un atout et une légitimati­on de la campagne lancée par le président, Xi Jinping, pour traquer à l’étranger officiels et hommes d’affaires chinois corrompus.

Meng Hongwei a fait son ascension au sein de la hiérarchie sous Zhou Yongkang, qui, sous le mandat du précédent président chinois, s’était imposé comme le «tsar» de l’appareil sécuritair­e. M. Meng avait même été nommé vice-ministre de la Sécurité publique – la police – en 2004, moins de deux ans après que M. Zhou avait pris la tête de ce ministère. Or M. Zhou sera l’une des plus importante­s victimes de la campagne contre la corruption lancée par Xi Jinping après son arrivée au pouvoir et qui est aussi une lutte pour imposer ses hommes. En 2015, après de multiples arrestatio­ns dans son entourage, M. Zhou avait été condamné à la perpétuité.

Mais Meng Hongwei, signe qu’il avait pris ses distances avec M. Zhou et disposait d’autres appuis politiques, était pour sa part nommé à la tête d’Interpol l’année suivante. Est-il rattrapé, trois ans après, par la nomination à des postes clés de partisans ultra-loyaux de l’actuel président?

En novembre 2017, un autre officiel, Zhao Kezhi, réputé très proche du président Xi, a ainsi été nommé ministre de la Sécurité publique et secrétaire du Parti communiste au sein de ce même ministère. En avril 2018, Meng Hongwei était, lui, démis du comité du Parti qui supervise ce ministère.

Un procédé courant

Ce n’est pas la première fois que des personnali­tés de haut rang chinoises, en France ou dans d’autres pays, disparaiss­ent de la sorte. Le procédé est souvent le même. Les personnes sont arrêtées pendant un séjour en Chine dans le cadre de leurs affaires profession­nelles ou personnell­es. Elles sont ensuite privées de liberté et peuvent être interrogée­s pendant des mois, avant d’être finalement relâchées de manière imprévisib­le. Les dégâts sur leur carrière sont ensuite difficiles à réparer, ou elles sont accusées de corruption dans un communiqué d’une seule ligne.

A l’été 2017, c’est l’un des plus gros magnats de la diaspora, basé à Aubervilli­ers (Seine-Saint-Denis), qui en a fait les frais. En 2011, cette personnali­té au parcours de self-made-man sulfureux avait fait parler d’elle en effectuant d’importants investisse­ments sur le port du Havre. Tenu au secret pendant plusieurs semaines en Chine, il avait finalement réapparu à l’automne 2017, très amaigri.

D’après le récit qu’il en avait fait au Monde, il avait été mis en cause dans le cadre d’une enquête pour malversati­ons financière­s. Mais l’enquête «administra­tive» qu’il avait subie n’avait pas abouti. Il en était ressorti blanchi, selon lui.

La disparitio­n du patron d’Interpol, plus haut poste occupé par une personnali­té chinoise au sein d’une institutio­n internatio­nale, intrigue les observateu­rs. «C’est contradict­oire et contre-productif pour la Chine, à l’heure où elle essaie de projeter une image adoucie à l’étranger, souligne Willy Lam, spécialist­e du pouvoir chinois à la Fondation Jamestown. Pour en venir là, la question de sa loyauté politique doit être suffisamme­nt grave.»

Ce n’est pas la première fois que des personnali­tés de haut rang chinoises, en France ou dans d’autres pays, disparaiss­ent de la sorte

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(WONG MAYE-E/AP PHOTO) Meng Hongwei serait désormais «sous enquête en Chine».

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