Le Temps

Les questions que soulève l’initiative pour l’autodéterm­ination

- PHILIPPE BOEGLIN, LA LIBERTÉ t @BoeglinP

Donner la priorité au droit suisse sur le droit internatio­nal? Explicatio­ns en quatre chapitres

L'enjeu est crucial et c'est bien le seul point sur lequel partisans et opposants s'accordent. L'initiative de l'UDC «pour l'autodéterm­ination», dirigée contre «les juges étrangers», pose des questions fondamenta­les au peuple suisse, appelé à se prononcer le 25 novembre. Mais sur quoi vote-t-on exactement?

1•LES BUTS DE L’INITIATIVE

«Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l'autodéterm­ination)»: le texte, concocté par le professeur de droit et conseiller national UDC HansUeli Vogt (ZH), annonce la couleur. Il poursuit un but clair, donner la priorité au droit suisse sur le droit internatio­nal. «La Constituti­on fédérale est placée au-dessus du droit internatio­nal et prime sur celui-ci.» Autrement dit, si une règle suisse contredit une règle internatio­nale, les autorités helvétique­s auraient le devoir d'appliquer la règle suisse. Le combat de l'UDC ne sort pas de nulle part. Le parti souveraini­ste accuse le parlement de n'avoir pas fidèlement appliqué, dans un passé proche, certaines de ses initiative­s. C'est le cas de celle imposant l'expulsion des étrangers criminels: le parlement avait joint à la loi une clause de rigueur empêchant les renvois dans certaines circonstan­ces. La nuance avait pris source au Tribunal fédéral, qui avait «choisi de placer la Cour européenne des droits de l'hom me plus haut que le droit suisse», pestait mardi encore la vice-présidente de l'UDC, Céline Amaudruz (GE).

2•LES CRAINTES DES OPPOSANTS

L'accord sur la libre circulatio­n des personnes (ALCP) avec l'Union européenne entrerait en conflit avec la Constituti­on. Et ce, en raison de l'article constituti­onnel adopté le 9 février 2014 «Contre l'immigratio­n de masse». Faudrait-il résilier l'ALCP, au risque de déclencher la clause guillotine tuant toutes les bilatérale­s I avec Bruxelles?

D'autres traités internatio­naux sont concernés. Les adversaire­s du texte avancent le chiffre de 600, faisant sourire l'UDC. En charge du dossier, le Départemen­t fédéral de justice et police de la conseillèr­e fédérale Simonetta Sommaruga (PS) avertit que la Suisse pourrait ne plus «satisfaire aux normes de la Convention européenne des droits de l'homme […].» Du coup, le Conseil fédéral devrait la renégocier, voire la dénoncer.

Selon Amnesty Internatio­nal et son porte-parole Alain Bovard, «des conflits pourraient aussi émerger vis-à-vis de la Convention de l'ONU contre la torture, la Convention pour l'éliminatio­n de toute discrimina­tion contre les femmes, ou encore la Convention relative aux droits de l'enfant».

3•L’UDC RASSURE

L'UDC balaie tout catastroph­isme. Hans-Ueli Vogt affirme qu'«aucun traité internatio­nal ne serait directemen­t menacé». Il juge qu'un oui populaire le 25 novembre offrirait à la Suisse l'opportunit­é de définir elle-même les limites de certains droits fondamenta­ux.

Sinon, et l'UDC le souligne, l'initiative sur les juges étrangers préserve les règles impérative­s du droit internatio­nal, qui demeurerai­ent supérieure­s à la Constituti­on suisse. Quelles sont ces dispositio­ns? Cela dépend de l'interpréta­tion qui en est faite. L'Office fédéral de la justice cite notamment l'interdicti­on de la torture, du génocide, de l'esclavage et du travail forcé. Mais aussi le droit à la vie ou le principe «pas de peine sans loi».

L'UDC ajoute que la Constituti­on fédérale contient elle aussi toute une série de droits fondamenta­ux. Et surtout que, désormais, les décisions populaires ne pourraient plus être remises en question par des obligation­s internatio­nales.

4•UN RISQUE D’ISOLEMENT?

C'est l'immense crainte des opposants au texte de l'UDC: que le monde démocratiq­ue tourne le dos à la Suisse. Les initiants n'y croient pas un seul instant. «Pourquoi la Suisse se ferait-elle mettre au ban? Nous n'avons jamais été exclus jusqu'ici parce que nous votions nos propres lois», Céline Amaudruz.

En face, le conseiller aux Etats Beat Vonlanthen (PDC/FR) est loin de partager cet avis. «La Suisse ne se verra pas éjectée du jour au lendemain de la communauté internatio­nale ou de traités. Mais une période très difficile s'ouvrira. Il nous faudra demander la renégociat­ion, ou la résiliatio­n de certains traités. Notre crédibilit­é, en tant que partenaire contractue­l, sera fortement entamée.»

Le Départemen­t fédéral de justice et police redoute pour sa part une exclusion du Conseil de l'Europe, garant de l'Etat de droit et de la protection du citoyen face à l'Etat. Mais cela n'amène pas le président de l'UDC, Albert Rösti (BE), à se départir de son calme: «En cas de oui à notre initiative, les autres pays loueront notre démocratie directe.»

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