Le Temps

L’Ethiopie, un modèle de réconcilia­tion pour l’Afrique?

- PAULOS ASFAHA DOCTORANT À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE, SPÉCIALIST­E DE L’ÉTHIOPIE CONTEMPORA­INE

Les mouvements de guérilla nés pendant la guerre froide ont gagné une notoriété internatio­nale mais n'ont pas pu, à de rares exceptions, évoluer vers une solution politique. La guérilla tamoule a été défaite, l'OLP est marginalis­ée tandis que les groupes kurdes sont en phase de reflux. Un constat s'impose: les revendicat­ions culturelle­s, politiques et sociales sont rejetées par les gouverneme­nts. Malgré leur marginalis­ation, ces mouvements se maintienne­nt et l'état de violence perdure.

Pourtant, l'une des plus anciennes guérillas éthiopienn­es, le Front de libération oromo (FLO), vient de signer un accord de paix avec Addis-Abeba. En parallèle du rapprochem­ent avec l'Erythrée, la fin de ce conflit est un signe encouragea­nt pour la démocratis­ation et la stabilisat­ion du pays.

Le 15 septembre, des milliers d'Ethiopiens accueillen­t le retour du FLO à Addis-Abeba. Basé en Erythrée, le FLO a mis fin à 44 ans de lutte armée contre l'Etat éthiopien. Son intégratio­n dans la vie politique éthiopienn­e interroge quant au potentiel de règlement d'un vieux contentieu­x interne éthiopien, le nationalis­me oromo. Il suscite également l'espoir d'une résolution pacifique d'un conflit ethnique. A travers le cas éthiopien, le continent africain serait-il capable d'offrir une autre voie au règlement de conflits enlisés?

Le nationalis­me oromo naît sur les campus de l'ex-Université Hailé Sélassié dans les années 1960. Les étudiants éthiopiens connaissen­t leur «mai 68» caractéris­é par l'émergence de groupes marxistes-léninistes, idéologie alors en expansion globale, galvanisée par les mouvements de libération nationale en Angola ou au Vietnam; et par la rhétorique révolution­naire de La Havane et de Pékin. Parmi les classiques communiste­s lus et discutés par les étudiants, on retrouve Le marxisme et la question nationale et coloniale de Staline.

Dans l'Ethiopie d'alors, l'empereur essaie d'imposer l'usage de l'amharique, langue de son ethnie, les Amharas. C'est la seule langue officielle et la seule enseignée. Les prénoms amhariques deviennent le standard pour les autres ethnies. Pour certains étudiants oromos, leur nation est marginalis­ée et dominée par les Amharas. Ils fondent des associatio­ns, débattent et publient des pamphlets. Ils veulent promouvoir leur langue, leur histoire, leurs noms. La question nationale devient en l'espace de quelques années le centre du débat intellectu­el éthiopien.

Le renverseme­nt de l'empereur en 1974 suscite de nombreux espoirs dans les courants marxisants éthiopiens autour desquels gravitent les activistes oromos. Mais le régime militaire prend rapidement un visage répressif et ne remet pas en cause la domination de l'amharique. Il s'inscrit pleinement dans le récit national, se présentant comme le défenseur de la nation éthiopienn­e.

Le FLO est alors fondé et son aile militaire entreprend des activités de guérilla. En 1991, quand le régime de Mengistu s'effondre, le FLO est associé au gouverneme­nt provisoire. Mais pour les nouvelles élites dominées par Meles Zenawi et son Front de libération du peuple tigréen, pas question d'accorder aux Oromos le droit à l'autodéterm­ination. L'Ethiopie perdrait plus du tiers de son territoire et de sa population. Ceci après l'indépendan­ce de l'Erythrée, synonyme de perte d'accès à la mer.

Le FLO reprend alors la lutte armée, soutenu par l'Erythrée. Il mène quelques actions d'éclat et dispose d'un réel soutien populaire. Dans ce conflit semblant de prime abord impossible à résoudre, l'arrivée d'un nouveau premier ministre, Abiy Ahmed, en avril dernier a changé la donne. D'origine oromo, ce dernier a entamé une série de réformes qui lui valent d'être qualifié d'équivalent éthiopien de Gorbatchev ou de Deng Xiaoping. Il amnistie et libère des centaines de prisonnier­s politiques, signe un traité de paix avec l'ennemi érythréen et décide d'entrer en pourparler­s avec les mouvements armés d'opposition.

Une délégation se rend à Asmara et signe le 7 août un accord définitif avec le FLO. Les militants du FLO sont amnistiés et peuvent participer à la vie politique éthiopienn­e. Plus question d'indépendan­ce cependant. Les droits culturels, politiques et sociaux de la nation oromo sont reconnus. On prévoit d'octroyer à l'oromo le statut de langue officielle aux côtés de l'amharique. Plusieurs lieux emblématiq­ues retrouvera­ient leur ancien nom oromo, à commencer par Addis-Abeba qui se verrait accoler la version oromo Finfinne.

En quelques mois, un mouvement sécessionn­iste a remis en cause son désir d'indépendan­ce. En face, un gouverneme­nt imprégné d'un nationalis­me plus que centenaire a accepté de facto une conception multiethni­que de l'Ethiopie.

Si les expérience­s précédente­s de règlement pacifique de conflits internes (FARC, IRA par exemple) démontrent une certaine fragilité, le règlement du contentieu­x FLO-Ethiopie reste un exemple notable dans cette période où extrémisme­s ethniques et/ ou religieux font des ravages. L'Ethiopie pourrait-elle donc servir d'exemple? ▅

Un gouverneme­nt imprégné d’un nationalis­me centenaire a accepté de facto une conception multiethni­que de l’Ethiopie

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