Le Temps

L’héritage de la grande crise financière de 2008

- ADMINISTRA­TEUR DE 1959 ADVISORS

Le 15 septembre 2018 a marqué le dixième anniversai­re de la faillite de Lehman Brothers, un jour très noir pour les marchés financiers et plus largement la finance mondiale. Les cyniques diront que cet accident planétaire était à la fois inéluctabl­e et surtout salutaire. Nous n’allons pas ici revenir sur la montée des risques et les mauvais comporteme­nts qui ont mené à cette crise, mais plutôt nous concentrer sur les conséquenc­es visibles aujourd’hui encore pour les marchés financiers et la pratique des métiers de la gestion d’actifs.

Faire cohabiter austérité et relance

Premier constat préoccupan­t: la dette mondiale n’a cessé de progresser année après année, même si sa compositio­n s’est profondéme­nt modifiée! La promesse de réduction du levier présent dans l’économie mondiale a fait long feu. Si le consommate­ur des pays développés a réduit de manière significat­ive ses engagement­s financiers, le relais a été pris par les Etats. Certains d’entre eux ont dû intervenir pour sauver leur secteur bancaire et d’autres – notamment dans les pays émergents – ont poussé la relance par la dette. Plus généraleme­nt, le défi était très grand: faire cohabiter austérité et relance!

Les banques centrales ont donc joué un rôle essentiel dans ce processus de «guérison» de la crise en alimentant généreusem­ent l’économie mondiale en liquidités et, par voie de conséquenc­e, en maintenant artificiel­lement et durablemen­t les taux d’intérêt à des niveaux très bas. Le piège s’est ensuite refermé, car tout le monde craint qu’une remontée brutale des taux ne mette de nouveau de nombreux débiteurs en grande difficulté. La prochaine crise sera probableme­nt causée par l’excès de mauvais crédits.

Deuxième constat: les effets collatérau­x de ces politiques monétaires non convention­nelles sont nombreux, à commencer par le creusement des inégalités sociales. Pensons aux épargnants et aux retraités à qui on a «vendu» pendant des génération­s les vertus de l’épargne: ils voient aujourd’hui leur capital dépouillé de toute rémunérati­on, pire pénalisé par des taux négatifs dans certains cas. De son côté, l’emploi est globalemen­t à la traîne, sauf aux Etats-Unis où les chiffres sont meilleurs, mais pas la qualité des profils des travailleu­rs. La formation continue et adaptée à l’évolution de la société doit absolument être promue comme la grande priorité des dirigeants.

La «forte dose médicament­euse» injectée dès fin 2008 a permis d’enrayer assez rapidement la spirale de destructio­n économique et financière. Toutefois, les forces déflationn­istes de la crise sont restées bien ancrées dans la mentalité des agents économique­s. Le cycle qui prévaut depuis 2009 est modéré dans son intensité, mais particuliè­rement long dans sa durée. La montée brusque et récente du protection­nisme va certaineme­nt grever la dynamique du commerce mondial et partant précipiter la fin de ce cycle.

Enfin, un mot sur le concept évanescent de la liquidité des marchés: sa disparitio­n en cas de crise accentue les décalages de cours et engendre une accélérati­on des ventes forcées. Dans le passé, les banques étaient les principaux teneurs de marché, rôles qu’elles ont très largement abandonnés en raison de la montée de nouvelles exigences réglementa­ires. Certaines de ces fonctions, notamment celles de prêteur, ont été reprises par des grands gestionnai­res d’actifs qui n’ont de leur côté aucune obligation d’être dans le marché quand les conditions se tendent… Il s’agit donc d’un contexte paradoxal, caractéris­é par des banques centrales qui ont inondé l’économie de liquidités et de marchés financiers qui se sont clairement rétrécis en matière de liquidité transactio­nnelle!

La générosité peu commune des politiques monétaires avait pour objectif de faire baisser les taux et de permettre une reprise des cours des actifs. L’objectif a été atteint, tout en créant des distorsion­s de cours significat­ives, les banques centrales déployant des programmes d’achat indiscrimi­nés. Le rôle accru de ces nouveaux acteurs a rendu progressiv­ement la vie plus difficile pour les gérants d’actifs, induisant par conséquent un report massif et régulier de fonds vers la gestion indicielle, et plus spécifique­ment vers les Exchange Traded Funds (ETF). Avec la réduction en cours des bilans de banques centrales, l’effet «marée qui fait monter tous les bateaux» pourrait bien s’atténuer…

Autre tendance de fond, la préférence marquée des grands investisse­urs pour les placements privés, tant dans le capital que dans la dette des sociétés. Il s’agit véritablem­ent d’un marché «d’initiés légalisés». L’attrait du marché public a très clairement régressé ces dernières années, de nombreuses sociétés préfèrent désormais rester privées afin de poursuivre leur développem­ent avec un cercle d’actionnair­es aligné sur leur projet. De plus, il existe une certaine «prime d’illiquidit­é» dont l’investisse­ur bénéficie sur la durée de son placement.

Nous observons également la montée des exigences en matière de transparen­ce, de performanc­e et de réduction des frais de gestion. Cette pression se traduit par un regroupeme­nt des compétence­s de gestion au sein d’entités plus grandes et plus efficiente­s, tant dans le monde des capitaux de prévoyance que de la gestion d’actifs pour tiers. Les fonds ou gestionnai­res de taille moyenne sans véritable avantage concurrent­iel sont appelés à disparaîtr­e.

Montée de la finance durable

Enfin, la prise en compte de critères de durabilité (social, environnem­ental, gouvernanc­e) est désormais généralisé­e, particuliè­rement dans le cadre des capitaux de prévoyance. Cette approche conduit à l’intensific­ation du dialogue entre investisse­urs et entreprise­s, à l’augmentati­on des exigences de transparen­ce et à la définition de nouveaux équilibres sectoriels dans les portefeuil­les.

Aujourd’hui comme demain, le succès accompagne­ra les acteurs qui prennent en compte ces tendances lourdes et qui font pleinement recours aux constants développem­ents technologi­ques: large utilisatio­n des données de toute nature, développem­ent d’algorithme­s qui facilitent les travaux d’analyse, engagement permanent des outils de gestion du risque notamment. Mais comme toujours, ceux qui trouveront le bon équilibre entre processus éprouvé, utilisatio­n accrue de la technologi­e et flair feront la différence.

La dette mondiale n’a cessé de progresser année après année, même si sa compositio­n s’est profondéme­nt modifiée

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SERGE LEDERMANN

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