«Nos concitoyens sont sous le choc»
Le président de l’exécutif catalan, Quim Torra, était hier en Suisse pour tenter de trouver des options de médiation avec le pouvoir espagnol. Il évoque pour Le Temps les différentes options qui s’offrent à la région.
Le président de l’exécutif catalan Quim Torra était en Suisse à la recherche d’une médiation dans son bras de fer avec Madrid. Il estime indispensable d’organiser une consultation sur une séparation avec l’Espagne
Il a été cadre chez Winterthur Assurances, éditeur, écrivain et chroniqueur acerbe. Depuis cinq mois, Quim Torra est président de la Generalitat de Catalogne, le pouvoir exécutif. Les hasards du parcours de ce natif de Blanes (à une heure de Barcelone) et le chaotique processus indépendantiste l’ont amené à la politique puis à reprendre le flambeau de Carles Puigdemont, toujours réfugié en Belgique pour échapper à la prison. A l’invitation du Global Studies Institute (GSI), Quim Torra donnait mercredi une conférence à Genève ayant pour intitulé «Une médiation internationale pour la Catalogne». Interview pressée sur la ligne Genève-Zurich, parce que «rien ne ressemble davantage à une immuable éternité que de voyager dans un train suisse», selon le dernier livre de l’homme d’Etat, El quadern suís («Le cahier suisse», non traduit), relatant son expérience helvétique.
Vous demandez une médiation internationale pour résoudre le problème catalan. Pourquoi venir en Suisse si ce n’est pour demander son intervention? Peu de pays ont une telle tradition de l’exercice démocratique et peuvent donc comprendre nos demandes de droit à l’autodétermination mais aussi l’enjeu de l’affaiblissement des droits civils en Catalogne.
Vous avez manqué trois réunions portant sur la «péréquation financière» espagnole (Conseil de la politique fiscale et financière) ainsi qu’un sommet en faveur du corridor méditerranéen, un réseau ferroviaire réclamé par les milieux économiques catalans depuis des décennies. Votre place est-elle réellement en Suisse en ce moment? Nous avons toujours exigé une relation bilatérale avec Madrid, de gouvernement à gouvernement. Il n’est plus question de participer à ces réunions avec les 17 communautés autonomes espagnoles. Le premier ministre Pedro Sanchez l’a accepté, comme il avait accepté de trouver des solutions politiques à la question catalane. Dans la pratique, il ne recourt pas au bilatéralisme et poursuit la judiciarisation de nos décisions.
Votre présence ici sera inévitablement interprétée comme un appel du pied à la Confédération… C’est une lecture possible. Mais j’ai bien insisté pendant la conférence sur le fait que je ne demande pas la médiation de la Suisse mais une médiation internationale. Cette conférence, je veux aussi la tenir à Bruxelles, à Londres ou à Berlin. Nous avons simplement commencé par un pays qui a la culture du consensus.
L’experte en médiation a souligné durant la conférence de mercredi que les deux parties doivent être prêtes à faire des concessions. Quelles seraient les concessions de la Generalitat? Nous avons toujours été prêts à nous asseoir à la table des négociations, sans aucune condition préalable. Nous avons organisé un référendum le 1er octobre et avons proclamé au parlement l’indépendance le 27 octobre. Elle n’est certes pas effective mais nous lui donnons toute sa valeur politique. Partant, nous proposons de changer la situation actuelle en négociant un référendum juridiquement contraignant, selon le modèle écossais. La réponse de l’Etat espagnol a toujours été la même. Il faudrait aussi leur poser cette question des concessions. Ce qui est clair, c’est que nous ne renoncerons jamais à l’exercice du droit à l’autodétermination.
Vous reprochez aux partis espagnols de ne se mesurer qu’en fonction de leur dureté ou de leur faiblesse envers les Catalans. Ce monothématisme pourrait aussi être reproché au parlement catalan! Certes, mais la question des prisonniers politiques fait toute la différence. Nos concitoyens sont en état de choc, les incarcérations bloquent le fonctionnement du gouvernement. Il est urgent de résoudre cette question.
Vous semblez générer, chez les unionistes, davantage de répulsion encore que Carles Puigdemont, notamment en raison de vos écrits… Les regrettez-vous aujourd’hui? J’ai déjà donné des explications à ce propos. J’ai écrit une douzaine de livres et en ai publié plus de 70. Malheureusement, on continue à tergiverser sur de petites phrases, sorties de leur contexte. Je ne me suis jamais reconnu dans l’image qu’on a dépeinte de moi. Posons le contexte: en 2012, une dame se plaint dans un journal zurichois de l’utilisation du catalan lors de l’atterrissage à Barcelone des avions de la compagnie Swiss. Vous lui répondez en évoquant des «bêtes» ou des «hyènes» détestant toute expression du catalanisme et tout ce qui n’est pas castillan. Ces gens pourraient pourtant bien représenter la moitié de vos concitoyens. Comment comptez-vous cohabiter? J’ai demandé pardon devant le parlement pour le ton excessif. Le catalanisme a toujours cherché l’intégration et promu les valeurs démocratiques. Notre plan gouvernemental vise à améliorer le sort des 7,5 millions de Catalans. Avoir un meilleur système sanitaire, assurer les retraites, donner des bourses à nos étudiants, c’est travailler pour l’ensemble des citoyens.
Vous dites admirer la routine démocratique de la Suisse, la séparation des pouvoirs, mais vous ne l’avez pas épargnée dans vos écrits «Ganivetades suïsses» («Coups de couteaux suisses») et «El quadern suís». C’est un livre d’admiration pour sa culture démocratique, son fédéralisme et son respect de la diversité. Je pose la Suisse en exemple de ce que l’Espagne ne sera jamais. Ces références culturelles sont aussi une manière de dire aux Catalans de venir visiter ce pays. J’espère que le livre pourra être jugé sur sa valeur littéraire.
En un peu plus de dix ans, vous êtes passé de cadre déchu à président de la Catalogne. Professionnellement, l’indépendantisme ne vous a pas trop mal réussi, non? Je n’ai jamais aspiré à être président de la Catalogne. Ni à travailler dans une grande entreprise suisse. La vie m’a offert des opportunités, j’ai aussi eu de la chance. Mon successeur à la présidence du centre culturel Òmnium Cultural est en prison depuis un an. Cela aurait pu m’arriver aussi. Je ne viens pas du monde politique. J’ai toujours dit que je ne me représenterais pas à la prochaine élection. J’espère que ce sera celle de la présidence de la République catalane. Et, pour ma part, pourquoi pas briguer un poste d’ambassadeur à Berne?
▅