Le Temps

Rencontre avec un passe-muraille repenti

Il fut l’un des détenus les plus célèbres de France. Vingt-sept ans de prison. Cinq évasions, dont une, en hélicoptèr­e, fit de lui un héros du «milieu». Une vie de violence et d’enfermemen­t dont il a finalement réussi, par l’écriture, à briser les chaînes

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

De l’ancien criminel Michel Vaujour, on se rappelle une rocamboles­que évasion par hélicoptèr­e en 1986. Aujourd’hui assagi, il s’est mis au yoga et se raconte dans un livre.

«La prison vous réduit le cerveau. En tôle, si tu acceptes la forme, tu approuves le fond. Or, pour moi, un seul objectif comptait: sortir»

Cette façon de sourire. Cette manière de signifier, par un simple plissement de visage, que la liberté est un fruit dont il ne se lassera jamais. Michel Vaujour triture la machine à café dans les bureaux de son éditeur parisien XO, expert ès «best-sellers». De cet étage de la tour Montparnas­se, Paris n’est que ciel et toits. Le contraire de son quotidien de détenu, incarcéré pendant près de vingt-sept ans: «La prison vous réduit le cerveau. C’est pour cela que je n’ai jamais accepté d’y travailler, de ranger ma cellule ou de jouer le jeu du prisonnier modèle. En tôle, si tu acceptes la forme, tu approuves le fond. Or, pour moi, un seul objectif comptait: sortir.»

«Coup de maître»

Michel Vaujour a l’âge de la retraite, 67 ans depuis le mois de janvier. Qu’importe: à force de passer de centrale en centrale, l’ex-criminel le plus recherché de France a appris à ne parler de lui et des siens qu’au temps présent. Le récit de sa vie, L’amour m’a sauvé du naufrage (XO Editions) revient évidemment sur son passé, de ce premier vol de voiture jusqu’aux braquages, puis aux évasions et à son «coup de maître».

26 mai 1986: un hélicoptèr­e piloté par son ex-femme, Nadine, vient le cueillir dans la cour de la prison de la Santé, en plein coeur de Paris. Une «belle» aérienne parfaite, qu’un autre caïd, Redoine Faïd, a récemment rééditée. La cavale de Vaujour s’achève trois mois plus tard en plein Paris, boulevard Mortier, par un hold-up et un échange de tirs avec les policiers. Balle dans la tête, coma et retour en prison pour le gangster, sauvé in extremis. Celle de Faïd s’est en revanche terminée sans violence par son arrestatio­n le 3 octobre à Creil (Oise), sa ville d’origine.

Vaujour parle à peine de Faïd, son lointain disciple côté évasion. Comme s’il préférait oublier cette trace héliportée laissée dans l’imaginaire du banditisme. On le revoit: cheveux longs, moustache insolente, gueule de voyou. «Je faisais partie des mecs qui, en prison, pouvaient obtenir ce qu’ils voulaient. Idem une fois sorti: armes, argent, planques, on m’offrait tout.» Le milieu a ses lois. Les grands voyous trônent en patrons. Mais toujours ils replongent: «Tu fais quoi dehors quand tu es le type que tous les flics de France veulent attraper? Tu deviens quoi lorsque, une fois de retour en prison, on te colle un coefficien­t maximal de dangerosit­é? J’ai connu les quartiers de haute sécurité, les QHS. Sur dix types qui se retrouvent là, à l’isolement total, trois gardent la tête froide, trois sont broyés et quatre deviennent des révoltés plus dangereux que jamais, résolus à affronter la société en face, enfouraill­és comme jamais.»

On pense aux islamistes les plus radicaux, incarcérés dans des conditions de sécurité maximale. Pour pouvoir épouser celle qui l’a sorti de son calvaire, Djamila, Michel Vaujour a accepté de se convertir à l’is- lam. Que pense-t-il du traitement carcéral des djihadiste­s et des radicalisé­s? De leur regroupeme­nt dans des unités spécialisé­es? «Le grand changement, ce n’est pas la prison, explique-t-il. Là, les choses n’ont pas vraiment changé. Tout continue de dépendre, d’un établissem­ent pénitentia­ire à l’autre, du directeur et des matons. Un directeur qui vous fait confiance, comme celui de la prison centrale de Moulins, qui m’a permis d’écrire, cela peut tout faire basculer.» Quel autre changement est donc si préoccupan­t? «Celui de la société. Celle que j’ai connue, jeune, était moins cadenassée. Aujourd’hui, la bien-pensance écrase tout. Les gens ne disent plus les vraies choses. Vous avez l’impression d’être libre, mais votre espace se restreint de plus en plus. On n’a plus le droit de remettre le système en cause. Ma mère, elle a perdu 480 euros par an sur sa retraite. Vous imaginez, pour d’autres qui ont encore moins qu’elle? La menace terroriste, elle monte avec le niveau de la mer. Plus le chaudron social est bouillant, plus ça risque d’exploser.»

«Un séducteur»

Au Ministère français de la justice, un psychologu­e qui a jadis traité Vaujour nous avait parlé de sa passion pour le yoga. Lui, avec son physique de déménageur, en train de faire des exercices de yoga dans sa cellule? «Il y a deux sortes de criminels. Ceux qui subissent un destin familial ou social, comme Vaujour, et cherchent à se rebeller, soit par la réhabilita­tion, soit par une fuite en avant dans la violence; et ceux qui n’envisagent pas de vivre autrement que dans les marges. Ceux-là deviennent vite hors d’atteinte.» La théorie est soumise à l’ex-taulard, alors qu’il nous parle de son chien et des balades qu’ils font tous les deux en forêt, chaque jour, en attendant le retour de Djamila: «C’est pas faux, répond-il, affairé à écrire un roman policier «très noir, très psychopath­e». J’ai jamais cherché à rompre avec la société. C’est ma vie qui m’en a écarté.» Un journalist­e qui l’a rencontré pour un documentai­re télévisé complète: «Il y a des ex-détenus séducteurs. Vaujour en fait partie. Il a toujours voulu avoir une histoire à raconter: la sienne.»

Leçon de vie édifiante. Trois euros en poche à sa dernière sortie de prison. Et des soirées terribles, une fois libre, passées à errer dans Paris en hiver, après un train raté ou des rendez-vous manqués. Gares fermées. Domicile en banlieue hors d’atteinte. Terrifiant­e liberté que Michel Vaujour raconte, car l’écriture est aujourd’hui sa meilleure thérapie: «Vous faites quoi dans ces cas-là, sans un sou en poche, vous, l’ex-roi des gangsters? Vous prenez le dernier bus pour avoir chaud jusqu’au terminus. Vous vous recroquevi­llez dans un coin, en colère, et vous attendez que le jour se lève. Puis vous réalisez, transi de froid, que vous allez enfin pouvoir rentrer chez vous. Fatigué. Mais libre.» ■

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