Le Temps

Picasso, les périodes de l’aube

«Picasso. Bleu et rose» réunit, au Musée d’Orsay, une foison de chefs-d’oeuvre du peintre, les plus fameux travaux de sa jeunesse dont certains annoncent, dès 1906, son tournant décisif vers le cubisme

- (RMN – GRAND PALAIS – MATHIEU RABEAU)

A Paris, le Grand Palais montre une foison de travaux de jeunesse du maître (comme ici «La Celestina», 1904). Un parcours qui permet d’apprécier les prolégomèn­es de son évolution cubiste.

«Un peu comme Midas, tout ce qu’il touche devient chefd’oeuvre», observait, au mois de septembre, Laurent Le Bon, commissair­e de l’exposition Picasso. Bleu et rose sur une radio publique française. Encore une exposition Picasso, nous direz-vous. Il est vrai que, durant la seule année 2018, 24 exposition­s consacrées au peintre des Demoiselle­s d’Avignon et de Guernica sont à l’affiche à travers le monde. Près de 270 exposition­s lui ont été consacrées depuis 2005.

L’exposition réunit un nombre étonnant de chefsd’oeuvre que vous avez peu de chance de voir de nouveau réunis dans les prochaines décennies

Pourquoi, après un tel déferlemen­t, se presser voir Picasso. Bleu et rose au Musée d’Orsay? Parce que l’exposition, admirable, réunit, parmi les 300 oeuvres sélectionn­ées (80 peintures, 150 dessins et une vingtaine d’estampes), un nombre étonnant de chefs-d’oeuvre venus d’Amérique du Nord (Met, MoMa, Collection Phillips de Washington, Toronto Art Gallery) et d’Europe (Tate modern, Musée Picasso de Barcelone, Musée national d’art de Catalogne, Ermitage, Musée Pouchkine, Musée Picasso de Paris, Kunstmuseu­m de Bâle) que vous avez peu de chance de voir de nouveau réunis dans les prochaines décennies.

Parce qu’on y découvre les tâtonnemen­ts, la naissance et l’affirmatio­n d’un talent hors du commun. «Picasso a trouvé entre 1900 et 1906 cet équilibre ténu, miraculeux, entre la tradition et l’innovation», souligne le critique d’art Itzhak Goldberg dans les colonnes du Journal des arts.

Yo Picasso

L’inscriptio­n dans la tradition? Les influences? «Chacune passagère, aussitôt envolée que captée, on voit que son emportemen­t ne lui a pas encore laissé le loisir de se forger un style personnel», écrit Félicien Fagus. Après avoir vu, durant l’été 1901, l’exposition que le marchand Ambroise Vollard consacre à Picasso, alors tout juste âgé de 20 ans, le critique évoque les parentés avec Delacroix, Monet, Manet, Pissarro, Degas, Félicien Rops.

Les influences sont évidentes dans les trois autoportra­its réunis dans la première salle du Musée d’Orsay. Peint durant l’été 1901, près d’un an après son arrivée à Paris, Autoportra­it en hautde-forme est un hommage à Toulouse-Lautrec. Yo Picasso, figurant le jeune peintre, l’air fier et arrogant, toisant de ses yeux noirs le spectateur, trahit l’influence expression­niste de Van Gogh, tout comme L’autoportra­it bleu, peint en 1901 après la disparitio­n de son ami Casagemas. Ce dernier montre le peintre, l’air abattu, enveloppé dans un long manteau au col relevé, figuré par un grand aplat de bleu sombre, cerné de noir, à la manière du cloisonnis­me de Gauguin. Picasso dira plus tard à Pierre Daix: «C’est en pensant à Casagemas que je me suis mis à peindre en bleu.»

Bleu comme mélancolie

La couleur bleue, symbole de sa tristesse et de sa mélancolie, hantera pendant trois ans toutes ses compositio­ns: miséreux aux membres déformés rappelant les tableaux du Greco, corps féminins hiératique­s et solennels, figures amaigries masculines et féminines trahissant la souffrance. En mai 1904, au Bateau-Lavoir où il s’installe, Picasso a écrit au crayon bleu au-dessus de la porte de son atelier de Montmartre: «Au rendez-vous des poètes».

Ce même mois, il rencontre Guillaume Apollinair­e et André Salmon. Deux ans plus tard, il se représente en buste dans un nouvel autoportra­it à l’air mélancoliq­ue dépouillé de tout détail superflu. Son visage, constitué d’un masque ovale, est peint en rose et gris. Le tout est construit par des volumes à la manière de Cézanne. La période rose, qui s’amorce en début d’année 1905, est celle des saltimbanq­ues, de la famille et du cirque.

Au printemps 1906, le rose vire à l’ocre, lors du séjour qu’il effectue dans le village de Gosol, dans les Pyrénées catalanes, en compagnie de Fernande Olivier. Ses sujets, aux formes simplifiée­s et à la palette réduite, comme Nu sur fond rouge, éliminant toute perspectiv­e et profondeur spatiale, annoncent le cubisme. Durant l’hiver 1906-1907, Picasso entamera son travail sur les Demoiselle­s d’Avignon.

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 ?? (MATHIEU RABEAU/RMN/GRAND PALAIS) ?? «L’autoportra­it bleu», peint par Picasso en 1901 après la disparitio­n de son ami Casagemas, et «Nu sur fond rouge», peint en 1906.
(MATHIEU RABEAU/RMN/GRAND PALAIS) «L’autoportra­it bleu», peint par Picasso en 1901 après la disparitio­n de son ami Casagemas, et «Nu sur fond rouge», peint en 1906.
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