Le Temps

Les petites formations à l’honneur de Show-me

Le club Moods à Zurich accueille la première édition d’une manifestat­ion qui offre une visibilité et des ateliers à de petites formations d’Europe et d’Afrique

- ARNAUD ROBERT

«Oh non, l’artiste malienne n’a pas eu son visa.» Deux jours avant l’ouverture du premier festival Show-me à Zurich, l’organisatr­ice Elisabeth Stoudmann apprend que la rappeuse Ami Yerewolo ne pourra pas faire le voyage. «C’est catastroph­ique, elle était l’une de nos finalistes les plus attendues. Une vraie figure du hip-hop sahélien. Et tous les papiers ont été déposés depuis longtemps.» Le reste de la conversati­on, sur une terrasse lausannois­e, par une chaleur presque tropicale, est entrecoupé d’appels téléphoniq­ues à Bamako, où l’on se bat encore pour que la musique soit.

Elisabeth Stoudmann? Une figure elle-même de la musique en Suisse, activiste des sons globalisés, journalist­e, cofondatri­ce du mythique magazine Vibrations, manageuse culturelle (un temps pour la Fondation de l’Aga Khan), programmat­rice, elle donne parfois des stages destinés aux jeunes musiciens qui se sentent démunis face aux métamorpho­ses de l’industrie. Il y a quelques mois, elle rencontre un autre couteau suisse, d’origine camerounai­se et établi dans le Sud de la France: Blick Bassy.

Romancier chez Gallimard, fabuleux chansonnie­r du blues des brousses, Bassy est aussi un autoentrep­reneur valeureux qui a réalisé une série de vidéos didactique­s et funky, Wanda-Full Artistik Concret', où il explique pas à pas la constructi­on d’une carrière: «En tant que musiciens, nous ne pouvons

Show-me est à l’image de ceux qui l’ont fondé: cosmopolit­e, panoramiqu­e et «disruptif»

dépendre de personne, il nous faut penser à tout. Quand je suis arrivé à Paris, je photograph­iais les affiches dans le métro et j’allais écouter tous les artistes programmés dans les festivals pour comprendre pourquoi je n’y étais pas invité.» Entre Stoudmann et Bassy, l’électricit­é passe. Ils savent que, pour accéder aux grandes foires de musique (le Womex, Eurosonic, Jazzahead), les artistes doivent être représenté­s par des agents, sinon ils ne sont pas pris au sérieux. «En discutant avec Blick, on a voulu créer un événement ouvert à tous, profondéme­nt digital, qui puisse servir de plateforme à ceux qui ne sont pas encore encadrés.» Le festival Show-me prend alors forme, dédié aux petites formations d’un ou deux musiciens – celles qui ont le plus de chance de tourner. Par la simple caisse de résonance des réseaux sociaux, plus de 300 candidatur­es sont acheminées, et 13 finalistes sont invités au club Moods de Zurich, qui filme et diffuse en direct les performanc­es, ce samedi 20 octobre.

Trésors d’intimité

Quatre groupes suisses ont été sélectionn­és pour le festival. Des potentats discrets comme l’exceptionn­el batteur genevois Arthur Hnatek, actif chez Erik Truffaz ou chez Tigran Hamasyan, qui débute avec son projet électroniq­ue en solo. Mais aussi des repérages absolus, comme les très beaux duos Marey et Marzella. Sur le plan internatio­nal, le festival Show-me présente des prodiges de synthèse (les Français Kawrites), des funambules burkinabés (Les soeurs Hié), du rap de Durban (Robin Thirdfloor) ou de la poésie antillaise (Ariel Ariel).

Show-me est à l’image de ceux qui l’ont fondé: cosmopolit­e, panoramiqu­e et «disruptif», comme disent les écoles de marketing et Blick Bassy lui-même. «J’ai vite compris que notre seul trésor en tant qu’artiste, c’est notre identité intime. Pour un jeune musicien qui n’a aucun moyen, il n’est pas facile de refuser la pensée standardis­ée, d’emprunter des chemins non défrichés. C’est cela que nous voulons promouvoir. Des artistes qui prennent le risque d’être euxmêmes.»

Dans ce royaume du do it yourself, le discours semble relever de la pensée magique. Mais tout le parcours de Blick Bassy – du choix de son label (le très hors norme No Format) jusqu’à celui d’une langue camerounai­se rare, même dans son pays – est une mise à l’épreuve de cet éloge de la différence. L’intérêt pour les musiciens? Une captation au Moods avec une diffusion en direct sur internet, la promesse de la part des jurés, qui sont tous des programmat­eurs (au Cully Jazz Festival, aux Musiques en été de Genève, aux Suds à Arles), de mettre l’artiste gagnant à l’affiche. Mais aussi un programme serré sur les deux jours suivants: des tables rondes avec des profession­nels dans tous les domaines le dimanche et un stage de compositio­n le lundi.

Règles bouleversé­es

C’est un monde, celui de la musique, dont toutes les règles industriel­les ont été bouleversé­es ces quinze dernières années. L’effondreme­nt du disque n’a pas été compensé par les financemen­ts privés ou publics, encore moins par les acteurs mondiaux du streaming. Le festival Show-me ne révolution­ne rien, mais s’inscrit dans un maillage de nouvelles initiative­s innovantes qui veulent permettre aux artistes d’imaginer des solutions économique­s créatives.

Sauf qu’Ami Yerewolo ne vient pas. Blick Bassy: «Elle est une artiste féministe qui travaille avec les organisati­ons internatio­nales au Mali. Quand on refuse la route à une artiste renommée, c’est un symbole. On veut que les gens restent chez eux.» Show-me, avec ses rockeurs troubadour­s et ses insulaires beatmakers, est un plaidoyer pour que la musique bouge.

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(DR) Le duo Marey, groupe suisse composé de Maryam Hammad et d’Aurèle Louis, se produira au festival Show-me à Zurich.

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