Le Temps

Le Brahms supérieur du pianiste Nicholas Angelich

- JULIAN SYKES Nicholas Angelich, Jonathan Nott et l’OSR. «Deuxième concerto pour piano» de Brahms vendredi 19 octobre au Victoria Hall à 20h.

Le pianiste américain s’est montré très émouvant dans le «Premier Concerto en ré mineur» mercredi soir au Victoria Hall de Genève. Lui et le chef Jonathan Nott ont su y forger une belle entente musicale

Avec ses airs brumeux et légèrement décalés, il ressemble à Brahms. Un Brahms sans la barbe. Nicholas Angelich a dominé de main de maître le Premier Concerto pour piano en ré mineur mercredi soir au Victoria Hall de Genève. Il était accompagné par Jonathan Nott et l’OSR dans un programme passionnan­t. Une interpréta­tion puissante et lyrique à la fois dans une oeuvre comparable à une symphonie avec piano.

Grande interprète de Berg et Janácek, la soprano allemande Angela Denoke a chanté Erwartung de Schoenberg en première partie. Ce monodrame en un acte déploie un théâtre intérieur: celui d’une femme traumatisé­e lorsqu’elle bute en pleine nuit sur le cadavre de son amant qu’elle prenait pour un tronc. Toute l’action se passe dans une forêt, revêtant un caractère psychanaly­tique à une époque où Sigmund Freud élaborait ses thèses à Vienne. Cette musique est extrêmemen­t difficile. Elle recèle une profusion d’éléments, tissés dans une orchestrat­ion pour le moins fournie, tout en restant très dépouillée par endroits, comme une mise à nu de l’âme.

Tessiture vocale escarpée

On frôle par endroits l’atonalité, tellement Schoenberg y repousse les frontières du langage musical de son temps. Et Dieu sait s’il faut une voix capable de dominer une tessiture escarpée! Dotée d’une excellente projection vocale, Angela Denoke rend bien le caractère halluciné du texte de Marie Pappenheim. Elle apporte une touche de lyrisme à cette partition qui sent l’influence lointaine de Mahler et Strauss tout en anticipant la révolution à venir. Même si le vibrato est prégnant par moments, elle reste très convaincan­te. Jonathan Nott livre un accompagne­ment orchestral de premier ordre. A la fois analytique et sensible, il obtient des musiciens une large palette de timbres, tour à tour diaphanes, soyeux, irisés, le tout ponctué d’émergences incandesce­ntes.

Passé l’entracte, le chef anglais empoignait le Premier Concerto pour piano de Brahms. Nott dirige à pleine pâte, creuse des lignes burinées, fait ressortir la mélancolie brumeuse dans les passages lyriques aux cordes. On frôle parfois l’empâtement, mais ce Brahms large, ample, généreux, qui ose prendre son temps en détaillant chaque épisode, a le mérite de nous plonger dans une ambiance poétique. Nicholas Angelich impose d’emblée un ton personnel et émouvant. Son piano sonne naturellem­ent plein. Il ne brutalise jamais l’instrument, et pourtant, les octaves sont d’une puissance ahurissant­e. Il conjugue carrure brahmsienn­e et souplesse, d’où une expressivi­té de tous les instants.

Très bel «Adagio»

L’«Adagio» est de toute beauté: pianissimi suspendus, cantabile à fleur de peau, cadence finale aux trilles d’une grande éloquence. Et d’attaquer le «Rondo» final avec poigne. Jonathan Nott se montre très à l’écoute du soliste: l’orchestre déploie de belles sonorités (l’«Adagio» à nouveau!) et répond aux fluctuatio­ns de la partie de piano.

Il ne manquait plus qu’un bis, d’une infinie délicatess­e, pour combler le public. Nicholas Angelich tire alors les plus belles sonorités de son piano pour l’Intermezzo opus 117 No 1, lyrique, tendre, lumineux. Un Brahms pour l’éternité.

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