A Genève, le Poche barbote et s’amuse
A la place de la fosse, une piscine. Sur la scène, une montagne de peignoirs et de linges. Le théâtre de la Vieille-Ville se transforme en bains thermaux pour une révolution joyeuse et bidon
Un air de Beckett avec, en scène, cette montagne de peignoirs et de linges de bain qui rappelle le célèbre mamelon d’Oh les beaux jours. Un air de Beckett aussi avec ces curistes aux répliques suspendues qui soliloquent sans s’écouter. Un air de Beckett encore avec cette révolution de papier – ou plutôt d’éponge – menée par le maître nageur (impayable Rébecca Balestra) qui souhaite que les bains restent démocratiques, mais n’a pas les moyens de ses convictions… En voyant La résistance thermale, au Poche, à Genève, on pense souvent au pape franco-irlandais de l’absurde. En plus gai, cependant. Car chez Beckett, la mort rôde tout le temps. Ici, avec la piscine aménagée dans la fosse et la sirène pailletée qui fait semblant de s’y baigner, la note de fond serait plutôt l’ecstasy. Un peu trop, d’ailleurs. Au tomber de rideau, le spectacle devient vite vapeur…
La petite scène genevoise emmenée par Mathieu Bertholet présente deux nouveaux venus. L’auteur, l’Autrichien Ferdinand Schmalz, qui a écrit La résistance thermale pour le Schauspielhaus de Zurich. Et Jean-Daniel Piguet, qui a d’abord étudié le cinéma et la philosophie, avant de réussir son master en mise en scène à La Manufacture. Les deux sont vifs, malins et convaincus que la révolution ne se fait plus le poing levé. En réalité, c’est surtout Jean-Daniel Piguet, à la mise en scène, qui a choisi de faire du révolutionnaire un type tout sauf héroïque, davantage chiffonné de perdre son travail si les bains sont rachetés par un riche financier, que véritablement traversé par l’idéal égalitaire.
Le club des six
Dans ce rôle, sans ses cheveux longs, mais avec, toujours, ses moues inouïes et ses éclats de voix, Rébecca Balestra fait des merveilles. On ne se lasse pas de son personnage revêche et maladroit. A ses côtés, les comédiens changent de peau. Julie Cloux est tantôt la maîtresse des lieux, tantôt une curiste angoissée. Baptiste Coustenoble et Nadim Ahmed passent aussi du staff à la clientèle. Pareil pour Christina Antonarakis, sauf qu’elle incarne la racheteuse robotique et allumée lorsqu’elle n’est pas une curiste constipée. Enfin, Fred Jacot-Guillarmod, le doyen de ces six comédiens attachés au Poche pour une année, joue un géologue givré quand il ne prend pas les eaux.
Le sourire, une force et une limite
Chacun y va de son refrain, dans une langue non naturelle, travaillée, où le verbe vient parfois avant le sujet. Le masseur ne veut pas polluer sa pratique de soins plus érotiques, la sirène veut faire de l’apnée et le maître nageur, le justicier donc, veut «soigner la cure de l’intérieur». Il prône des bains accessibles à tous, et critique, à travers cette revendication, la luxurisation (oui, oui, le terme existe!) de ces installations. Plus généralement, Ferdinand Schmalz, comme Max Frisch avant lui, voit la mort dans l’excessive quête de confort qui obsède cette bulle qu’est la Suisse. A la fin, les curistes livrent d’ailleurs leurs dernières pensées drapés dans leur linge comme des fantômes ou des zombies. Le moment est drôle plus que tragique. Le sourire, c’est la force de cette farce, c’est aussi sa limite.
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