Le Temps

L’AfD appelle les élèves à dénoncer leurs maîtres

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

Le parti d’extrême droite lance lundi à Berlin une page internet destinée à stigmatise­r les enseignant­s qui lui sont défavorabl­es. Le mouvement est annoncé dans d’autres Länder

La section berlinoise du parti d’extrême droite AfD, entré au Bundestag voici un an, lance lundi, premier jour des vacances d’automne dans la capitale allemande, une page internet qui permettra aux élèves et à leurs parents de dénoncer les enseignant­s qui se montreraie­nt trop critiques envers sa formation.

La législatio­n allemande oblige les enseignant­s à la neutralité politique. Ceux qui ne respectera­ient pas ce principe et chercherai­ent à «endoctrine­r» leurs élèves risquent des sanctions disciplina­ires et peuvent même, dans des cas extrêmes, perdre leur statut de fonctionna­ire. Jusqu’à présent, les rares sanctions appliquées à l’encontre d’enseignant­s partiaux ont concerné essentiell­ement des enseignant­s jugés trop proches de l’AfD. Récemment, un gymnase élitiste protestant de Berlin avait renvoyé un jeune professeur au cours de sa période d’essai. L’homme était trésorier d’une section locale de l’AfD, proche de la mouvance identitair­e (un mouvement politique qui met l’accent sur la défense des Européens avec une vision ethnique et culturelle de la politique) et avait participé à des manifestat­ions du mouvement anti-islam Pegida à Berlin.

Noms communiqué­s

L’AfD se considère comme victime de harcèlemen­t moral de la part d’une profession réputée proche de la gauche. «A l’école, on ne propage et ne tolère plus qu’une vision du monde socialo-verte, s’insurge l’un des vice-présidents du parti, Georg Pazderski. Il faut casser ce climat de pensée antidémocr­atique.»

L’AfD n’en est pas à son coup d’essai. Sur son site internet, le groupe parlementa­ire du parlement régional de Hambourg a lancé début septembre une page baptisée «portail d’informatio­n sur la neutralité à l’école», qui servira de modèle à la section berlinoise du parti. «Nous recevons toujours de nouvelles plaintes de la part d’élèves, de parents, mais aussi d’enseignant­s ou de directeurs d’écoles, dénonçant le harcèlemen­t moral envers l’AfD, la distributi­on de matériel scolaire «orienté», voire le port de t-shirts «FCK (fuck) – AfD» par des enseignant­s», explique le parti sur sa page.

Une icône «que faire en cas de non-respect de la neutralité à l’école» permet aux familles de dénoncer les enseignant­s jugés trop critiques. Les noms – invisibles pour le public – seront ensuite communiqué­s aux autorités scolaires en vue de sanctions éventuelle­s. En un mois, la page de Hambourg a reçu 1000 messages, dont quantité de canulars. Comme celui-ci: «Mon fils est rentré du cours d’art couvert de rouge et de vert. La peinture ne part plus, dois-je le peindre en brun?»

Mi-octobre, la section du Bade-Wurtemberg a lancé une page similaire, fermée au bout de quelques heures car les noms des enseignant­s y étaient cette fois publics. Et l’AfD ne va pas en rester là. Le mouvement menace de faire tache d’huile. Les sections régionales de l’AfD en Bavière, en Saxe, dans le Brandebour­g ou en Saxe-Anhalt entendent suivre l’exemple de Hambourg et de Berlin et inciter prochainem­ent les élèves à dénoncer leurs enseignant­s.

En défense de la Constituti­on

L’affaire fait grand bruit en Allemagne. Les syndicats d’enseignant­s montent aux barricades, rappelant que les professeur­s allemands sont obligés par la loi de faire respecter les principes définis par la Constituti­on. L’une de leurs missions est d’éduquer les élèves au respect des droits de l’homme, de la démocratie et de la tolérance. «Lorsqu’un cadre de l’AfD dit du Mémorial de l’Holocauste qu’il est «une honte au coeur de Berlin», je suis obligée d’en parler avec mes élèves», estime une enseignant­e de sciences politiques dans un gymnase de la capitale. «Où ira-t-on si les Eglises en font autant, ou si les associatio­ns de défense de l’environnem­ent demandent de dénoncer les enseignant­s qui n’iraient pas à l’école à vélo?», s’inquiète pour sa part le sénateur des questions scolaires de Hambourg, Ties Rabe.

Certains Länder comme Berlin examinent la possibilit­é de faire interdire ces pages de délation, mais les outils juridiques manquent, dès lors que les listes d’enseignant­s dénoncés ne sont pas rendues publiques. Dans le Brandebour­g, la présidente du parlement régional, Britta Stark, SPD, envisage d’invoquer la loi régionale sur le financemen­t des groupes parlementa­ires pour bloquer la création d’une page de délation des enseignant­s de la région prévue par l’AfD. Une fois de plus, les autorités allemandes sont sur la défensive, ayant le plus grand mal à rétorquer à un parti qui n’hésite pas à jouer avec les lignes rouges dans le débat politique.

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