L’AfD appelle les élèves à dénoncer leurs maîtres
Le parti d’extrême droite lance lundi à Berlin une page internet destinée à stigmatiser les enseignants qui lui sont défavorables. Le mouvement est annoncé dans d’autres Länder
La section berlinoise du parti d’extrême droite AfD, entré au Bundestag voici un an, lance lundi, premier jour des vacances d’automne dans la capitale allemande, une page internet qui permettra aux élèves et à leurs parents de dénoncer les enseignants qui se montreraient trop critiques envers sa formation.
La législation allemande oblige les enseignants à la neutralité politique. Ceux qui ne respecteraient pas ce principe et chercheraient à «endoctriner» leurs élèves risquent des sanctions disciplinaires et peuvent même, dans des cas extrêmes, perdre leur statut de fonctionnaire. Jusqu’à présent, les rares sanctions appliquées à l’encontre d’enseignants partiaux ont concerné essentiellement des enseignants jugés trop proches de l’AfD. Récemment, un gymnase élitiste protestant de Berlin avait renvoyé un jeune professeur au cours de sa période d’essai. L’homme était trésorier d’une section locale de l’AfD, proche de la mouvance identitaire (un mouvement politique qui met l’accent sur la défense des Européens avec une vision ethnique et culturelle de la politique) et avait participé à des manifestations du mouvement anti-islam Pegida à Berlin.
Noms communiqués
L’AfD se considère comme victime de harcèlement moral de la part d’une profession réputée proche de la gauche. «A l’école, on ne propage et ne tolère plus qu’une vision du monde socialo-verte, s’insurge l’un des vice-présidents du parti, Georg Pazderski. Il faut casser ce climat de pensée antidémocratique.»
L’AfD n’en est pas à son coup d’essai. Sur son site internet, le groupe parlementaire du parlement régional de Hambourg a lancé début septembre une page baptisée «portail d’information sur la neutralité à l’école», qui servira de modèle à la section berlinoise du parti. «Nous recevons toujours de nouvelles plaintes de la part d’élèves, de parents, mais aussi d’enseignants ou de directeurs d’écoles, dénonçant le harcèlement moral envers l’AfD, la distribution de matériel scolaire «orienté», voire le port de t-shirts «FCK (fuck) – AfD» par des enseignants», explique le parti sur sa page.
Une icône «que faire en cas de non-respect de la neutralité à l’école» permet aux familles de dénoncer les enseignants jugés trop critiques. Les noms – invisibles pour le public – seront ensuite communiqués aux autorités scolaires en vue de sanctions éventuelles. En un mois, la page de Hambourg a reçu 1000 messages, dont quantité de canulars. Comme celui-ci: «Mon fils est rentré du cours d’art couvert de rouge et de vert. La peinture ne part plus, dois-je le peindre en brun?»
Mi-octobre, la section du Bade-Wurtemberg a lancé une page similaire, fermée au bout de quelques heures car les noms des enseignants y étaient cette fois publics. Et l’AfD ne va pas en rester là. Le mouvement menace de faire tache d’huile. Les sections régionales de l’AfD en Bavière, en Saxe, dans le Brandebourg ou en Saxe-Anhalt entendent suivre l’exemple de Hambourg et de Berlin et inciter prochainement les élèves à dénoncer leurs enseignants.
En défense de la Constitution
L’affaire fait grand bruit en Allemagne. Les syndicats d’enseignants montent aux barricades, rappelant que les professeurs allemands sont obligés par la loi de faire respecter les principes définis par la Constitution. L’une de leurs missions est d’éduquer les élèves au respect des droits de l’homme, de la démocratie et de la tolérance. «Lorsqu’un cadre de l’AfD dit du Mémorial de l’Holocauste qu’il est «une honte au coeur de Berlin», je suis obligée d’en parler avec mes élèves», estime une enseignante de sciences politiques dans un gymnase de la capitale. «Où ira-t-on si les Eglises en font autant, ou si les associations de défense de l’environnement demandent de dénoncer les enseignants qui n’iraient pas à l’école à vélo?», s’inquiète pour sa part le sénateur des questions scolaires de Hambourg, Ties Rabe.
Certains Länder comme Berlin examinent la possibilité de faire interdire ces pages de délation, mais les outils juridiques manquent, dès lors que les listes d’enseignants dénoncés ne sont pas rendues publiques. Dans le Brandebourg, la présidente du parlement régional, Britta Stark, SPD, envisage d’invoquer la loi régionale sur le financement des groupes parlementaires pour bloquer la création d’une page de délation des enseignants de la région prévue par l’AfD. Une fois de plus, les autorités allemandes sont sur la défensive, ayant le plus grand mal à rétorquer à un parti qui n’hésite pas à jouer avec les lignes rouges dans le débat politique.
n