Le Temps

Johnny Hallyday, l’album posthume, à l’écoute d’un triomphe annoncé

«Mon pays c’est l’amour», l’album posthume de l’idole, fait la part belle au rock’n’roll «à l’ancienne». Mise en place hors norme et marketing agressif: déjà un succès. Ecoute

- DAVID BRUN-LAMBERT Johnny Hallyday, Mon pays c’est l’amour (Warner Music, 2018)

D’abord, un secret soigneusem­ent entretenu autour de son contenu. Ensuite, 800000 exemplaire­s physiques mis en vente le 18 octobre à minuit pile. La publicatio­n de Mon pays c’est l’amour, cinquante-etunième album studio de Johnny Hallyday, est orchestrée pour cartonner, fédérant autour des dernières chansons enregistré­es par le rocker disparu le 5 décembre 2017 à 74 ans une internatio­nale d’admirateur­s toujours endeuillés. Que penser de ce disque d’ores et déjà consacré platine (100000 exemplaire­s vendus)? Globalemen­t du bien, vraiment…

Du «pur» Johnny

«Le jour viendra de répondre de mes actes/Et je ne broncherai pas.» Aux premiers couplets de J’en parlerai au diable, titre au lyrisme écorché qui ouvre l’oeuvre testamenta­ire du rocker français, les intentions sont clairement posées: ici, aucune innovation esthétique ou audace thématique ne sont à redouter. Laeticia Hallyday à sa direction artistique, Mon pays c’est l’amour donne à goûter du «pur» Johnny.

D’une fragilité ampoulée, mais savoureuse, à ses premières mesures, l’affaire bascule ensuite dans un rock fifties bondissant, mais pourtant convenu. L’ex- «idole des jeunes» s’y apprécie alors rugissant: «Je viens d’un pays où j’ai choisi de naître/Un bout de paradis que tu connais peut-être» sous un déluge de cuivres «à la Muscle Shoals», un solo de guitare minéral enroulant une affaire où l’amour, dit le chanteur, est un territoire plus vaste et puissant que toute nation.

Une gravité qui frappe

Cette tonalité rétro, l’album la poursuit ensuite illico dans une veine rockabilly enthousias­te quand Made in Rock’n’Roll invite à bord les fantômes de Carl Perkins et – à la rigueur – des Stray Cats. Fort bien. Sauf que parvenu là, si peu arrache l’auditeur au confort de titres qu’on pourrait bien croire avoir été pliés des décennies plus

On oublie les épisodes navrants qui ont précédé la publicatio­n de cet enregistre­ment

tôt, quand Hallyday renouait avec le blues-rock des origines (Le coeur d’un homme, 2007) ou bien enchaînait les perles mélodramat­iques lucratives (Sang pour sang, 1999).

Mais vient Pardonne-moi et là, on se tait. Ecrit par Maxim Nucci (alias Yodelice, réalisateu­r de ce disque) et Yarol Poupaud, dernier directeur musical de Johnny, cette chanson qui ploie jusqu’à terre comme sous la menace et les regrets porte une gravité qui frappe, dérange et force net à l’humilité. «Si je tombe/Dismoi qu’aurais-je pu faire de mieux», y demande un homme malade et qui se sait condamné.

Parvenu ici, alors oui, on oublie les épisodes navrants qui ont précédé la publicatio­n de cet enregistre­ment: l’action en justice intentée par les aînés de la star, Laura Smet et David Hallyday, réclamant un droit de regard sur sa publicatio­n, le dispositif exceptionn­el mis en place par la major du rocker patrimonia­l afin de maximiser ses ventes, les séances d’écoute délirantes orchestrée­s dans des cinémas de l’Hexagone ou sur le parvis de la gare Saint-Lazare de Paris par certains médias. Mon pays c’est l’amour peut bien être cet événement commercial majeur en Francophon­ie, il s’envisage d’abord comme un précipité des styles dans lesquels a excellé durant cinquante-huit ans de carrière Johnny Hallyday.

Passé un Interlude empesé très dispensabl­e, on s’arrête sur 4m2 écrit par Pierre-Yves Lebert, un blues «social» (il y est question d’univers carcéral) poisseux, un peu bourrin dans son obstinatio­n à refuser l’épure pour lui préférer le muscle, mais où l’idole rage, peste, hésite et triomphe finalement comme autrefois dans, disons, Diego libre dans sa tête (1981).

Quand, en revanche, Back in L.A., écrit par Miossec, ennuie dans son obstinatio­n à courir après un élan stonien qui toujours lui échappe, L’Amérique de William désole cette fois carrément, son bluegrass francilien enfilant des clichés où il est question d’un Far West de carte postale auquel croyait ferme et jusqu’au bout Jean-Philippe Léo Smet: les motels «solitaires», les villes fantômes «sous la lune», les grands espaces «intimes», tout ça…

«Que restera-t-il de nous?»

La suite? Ce que les premières minutes de ce disque promettaie­nt avant de sembler y renoncer: le rock lourd, venimeux, taillé pour la conquête des stadiums d’Un enfant du siècle, pièce épique, férocement séduisante où Johnny adjure: «Que le temps nous tue/Que restera-t-il de nous?/ Puisqu’on fait semblant/Et qu’on s’habitue à ne rien se dire du tout.»

Oubliez Tomber encore, où une femme qui, de toute évidence, doit être Laeticia, est célébrée dans l’emphase, pour préférer méditer sur la plage qui clôt cette oeuvre terminale: Je ne suis qu’un homme, ballade meurtrie, poignante et pompière à la fois, que l’on écoute muet en visant la pochette en noir et blanc réalisée par le photograph­e Dimitri Coste. Hallyday y pose en t-shirt blanc dans une rue ordinaire. La gueule est burinée, les traits ridés, le torse puissant, l’attitude sauvage. Est-ce là «un phénix?, demande le journalist­e Philippe Labro, auteur d’un pudique texte de pochette. Non, un aigle et une colombe.»

 ?? (TRISTAN REYNAUD/SIPA) ?? A la gare Saint-Lazare, à Paris. Deezer offre l’écoute gratuite de l’album posthume de Johnny Hallyday.
(TRISTAN REYNAUD/SIPA) A la gare Saint-Lazare, à Paris. Deezer offre l’écoute gratuite de l’album posthume de Johnny Hallyday.

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