«L’économie n’aime pas le pouvoir du peuple»
Même s’il s’est retiré de la présidence de l’UDC, Christoph Blocher, désormais âgé de 78 ans, mène personnellement campagne en faveur de l’initiative affirmant la primauté du «droit suisse au lieu de juges étrangers». Pour lui, la démocratie directe est e
A 78 ans, Christoph Blocher s’implique dans la campagne de l’initiative affirmant la primauté du «droit suisse au lieu de juges étrangers». Il en fait un combat personnel
Dans une interview qu’il nous a accordée, Christoph Blocher affirme que l’initiative soumise au vote le 25 novembre «doit nous permettre de sauver la démocratie directe». En cas de refus de ce texte présenté par l’UDC, formation dans laquelle il n’a plus de fonction dirigeante, «les élites politiques libérales et socialistes qui siègent à Berne feront encore davantage ce qu’elles veulent».
Pour le politicien, «les autorités suisses qui ne mettent pas en application les initiatives approuvées par le peuple» menacent la démocratie suisse. C’est un coup d’Etat qui aurait lieu: les élus nationaux en s’appropriant «sournoisement le pouvoir, tout en court-circuitant la Constitution», affirme-t-il.
S’il assène que «les juges étrangers sont les baillis modernes», Christoph Blocher dit ne rien avoir à reprocher à la Convention européenne des droits de l’homme. «Mais tous les droits de l’homme qu’elle contient figurent déjà dans notre Constitution», ajoutet-il. Il assure d’ailleurs qu’aucun accord que le Suisse a noué n’est menacé par le texte soumis en votation populaire, contrairement à ce que prétend l’association Economiesuisse. «L’économie n’aime pas le pouvoir du peuple, car elle ne peut pas l’acheter, du moins pas dans une démocratie directe», conclut le Zurichois, qui admet: «C’est la mission de ma vie que d’empêcher l’adhésion rampante de la Suisse à l’UE.»
«Les autorités suisses menacent la démocratie directe» CHRISTOPH BLOCHER
Quelle est l’importance de cette initiative pour l’UDC? Elle n’est pas importante pour l’UDC, mais pour la Suisse. Elle doit nous permettre de sauver la démocratie directe. Si elle est refusée, les élites politiques libérales et socialistes qui siègent à Berne feront encore davantage ce qu’ils veulent. De plus en plus, ils laisseront le pouvoir aux juges étrangers.
Vous parlez de «sauver la démocratie». Compareriez-vous l’importance de cette initiative à la votation de 1992 sur l’Espace économique européen (EEE)? Je n’irais pas aussi loin. Dans la Constitution, il est inscrit qu’il faut respecter le droit international. C’est une évidence pour ce qui est du droit impératif [celui qui interdit la peine de mort et la torture]. Mais depuis 2012, le Tribunal fédéral (TF) place le droit international ordinaire au-dessus de la Constitution. La Suisse est le seul pays à se soumettre ainsi et le peuple n’a plus son mot à dire.
Le scénario de la campagne est connu: c’est l’UDC contre tous les autres. Affectionnez-vous ce cas de figure? Non, je préférerais que les autres partis nous soutiennent. C’est le combat de David contre Goliath et David gagne parfois. Mais en 1992, la situation était encore plus extrême à propos de l’EEE. Même l’UDC était divisée à l’époque.
Qui sont les juges qui vous irritent le plus: ceux de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg ou ceux du Tribunal fédéral? En 2012, le TF a rendu cet arrêt empêchant l’expulsion d’un délinquant étranger. Cette décision m’a horrifié. Depuis 1848 jusqu’à cette date, le droit suisse avait toujours prévalu. Puis le TF a modifié sa pratique. Il veut s’en référer à des juges étrangers, que ce soit ceux de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), de la Cour de justice de l’UE ou de l’OCDE. Ce n’est le cas dans aucun autre pays du monde. L’Angleterre n’applique pas les jugements de la CEDH, pas plus que l’Allemagne si son parlement n’est pas d’accord. Les juges étrangers sont les baillis modernes.
Concrètement, qui menace la démocratie directe? En l’occurrence, ce sont les autorités suisses qui ne mettent pas en application les initiatives approuvées par le peuple. L’Initiative des Alpes, par exemple, qui exigeait le transfert de la route au rail de toutes les marchandises transitant par la Suisse: le parlement a dit qu’il ne voulait pas discriminer les transporteurs européens, ce qui n’était pas le cas. Et puis, bien sûr, notre initiative contre l’immigration de masse, où l’on a tout simplement menti au peuple. A force de ne pas l’écouter, on favorise l’abstention. Si votre initiative n’a pas été mise en oeuvre comme vous le souhaitiez, n’est-ce pas parce que son texte était contradictoire? Cette affirmation de nos adversaires est une invention! Cette initiative exigeait des contingents sur l’immigration – en fait un régime que nous avons connu entre 1971 et 2007 –, de même que l’introduction du principe de la préférence nationale. Elle demandait donc au Conseil fédéral de renégocier l’accord sur la libre circulation des personnes. Le gouvernement n’a rien fait, il a donc méprisé la volonté populaire.
«On peut commettre un coup d’Etat en s’appropriant sournoisement le pouvoir tout en court-circuitant la Constitution. C’est exactement ce que les politiciens ont commencé à faire à Berne» CHRISTOPH BLOCHER
Mais il n’y a pas eu de référendum après la décision du parlement. Comment pouvez-vous prétendre que le peuple est «privé de son pouvoir»? En 2011, sur mandat du Conseil fédéral, le professeur de droit public Daniel Thürer, aujourd’hui à la retraite, a fait une expertise dans laquelle il a proposé de créer un nouveau tribunal spécial avec trois juges fédéraux, mais qui ne serait là que pour placer le droit européen au-dessus du droit suisse. Cela aurait été une manière de faire adhérer la Suisse à l’UE sans que le peuple puisse se prononcer! Je me suis toujours étonné du fait que les médias n’aient pas parlé davantage de cette expertise.
Lors de votre discours à l’Albisgüetli de cette année, à Zurich, vous avez parlé d’un «coup d’Etat» qui se produirait en Suisse. Un coup d’Etat, c’est une «prise de pouvoir par des moyens non constitutionnels et par la force». Ne commettez-vous pas là un abus de langage? Non, non! Il n’y a pas besoin d’utiliser la force. On peut commettre un coup d’Etat en s’appropriant sournoisement le pouvoir tout en court-circuitant la Constitution. C’est exactement ce que les politiciens ont commencé à faire sous la Coupole fédérale. Ils disent au peuple qu’il peut encore voter, mais ne l’écoutent plus. C’est contre cet abus de pouvoir que nous devons nous battre.
Qu’avez-vous contre la Convention européenne des droits de l’homme? Rien, même si elle n’a pas été soumise au peuple! Mais tous les droits de l’homme qu’elle contient figurent déjà dans notre Constitution. Croyez-moi, ce n’est sûrement pas la Suisse qui viole ces droits de la manière la plus crasse, mais des dictatures comme la Turquie ou la Russie. Je ne comprends pas que cette Cour des droits de l’homme puisse par exemple s’immiscer dans notre droit sur les assurances et décider qu’une caisse maladie devrait prendre en charge une opération de chirurgie esthétique.
Admettez-vous que cette convention européenne protège le citoyen contre l’arbitraire de l’Etat? Si elle fait cela, tant mieux! J’aimerais souligner ici que nous n’avons pas la moindre intention de résilier cette convention. Ce reproche que nous font les adversaires de l’initiative est un procès d’intention. Ce qui nous gêne, c’est qu’on puisse placer cette convention au-dessus de notre Constitution, alors qu’elle n’a jamais été soumise au référendum.
L’association faîtière Economiesuisse prétend que cette initiative menace des centaines d’accords internationaux. Ne créez-vous pas ainsi de l’insécurité juridique? Non. Aucun des accords déjà ratifiés n’est menacé, car aucun d’entre eux ne contredit la Constitution suisse. L’économie n’aime pas le pouvoir du peuple, car elle ne peut pas l’acheter, du moins pas dans une démocratie directe.
Qu’en est-il de l’accord sur la libre circulation des personnes? C’est la seule exception. Dans ce cas, le peuple a demandé au Conseil fédéral de le renégocier. Exigez-vous qu’il soit résilié? Oui, à moins que le Conseil fédéral puisse obtenir qu’il soit adapté par l’introduction de contingents et par la préférence nationale, ne serait-ce que pour permettre aux seniors de plus de 50 ans au chômage de retrouver un emploi. Si vous êtes propriétaire d’une maison et que vous n’êtes pas content du prix de l’eau ou de l’électricité, vous tentez de renégocier votre contrat avec votre fournisseur. C’est ainsi dans la vie de tous les jours, et il doit en être de même lorsqu’il s’agit des intérêts de tout un pays.
Mais l’UE n’a pas voulu renégocier l’accord sur la libre circulation! Elle l’a dit et le Conseil fédéral ne s’est pas battu pour renégocier, tout simplement parce qu’il était contre notre initiative. Pourtant, l’UE devrait avoir intérêt à trouver une solution avec nous, car sa balance commerciale avec la Suisse lui est favorable.
Pour l’UDC, la mère des batailles sera la votation sur l’accord institutionnel que la Suisse pourrait signer avec l’UE. Mais, pour l’instant, la situation est bloquée. Pensez-vous qu’il y aura un vote avant trois ans? Je serais content si cette votation n’avait pas lieu. Même les syndicats suisses craignent désormais le diktat de l’UE en matière de protection des salaires. Mais le Conseil fédéral, le parlement et l’économie veulent cet accord. De toute façon, nous sommes prêts pour cette bataille. C’est la mission de ma vie que d’empêcher l’adhésion rampante de la Suisse à l’UE.
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