Face à la presse, Mélenchon emploie la méthode Trump
Le leader de La France insoumise a fait de la haine des journalistes son registre préféré. Une stratégie au départ calculée, mais désormais déréglée
Il fallait bien qu’un jour Jean-Luc Mélenchon dérape. Ou, du moins, que sa détestation affichée des journalistes politiques finisse par se transformer en guerre ouverte. Ce qui s’est passé vendredi, lors de la conférence de presse du leader de La France insoumise ulcéré par les perquisitions opérées mardi à son domicile et au siège de son parti, était donc prévisible: «Mélenchon a fait de la colère son registre politique et l’engrenage est en train de le dévorer. En fait, il n’en finit pas, à tous égards, de régler les comptes d’une élection présidentielle dont il estime avoir été injustement éliminé au premier tour», jugeait vendredi soir, après l’intervention du dirigeant de la gauche radicale, le politologue Roland Cayrol à l’émission C dans l’air.
La surenchère infernale s’est résumée en une phrase, prononcée dans une courte vidéo diffusée sur Facebook, arme favorite de l’actuel député de Marseille. Sa cible? Les journalistes de la cellule investigation de France Info, coupables à ses yeux d’avoir monté en épingle les soupçons de la justice française à l’égard de ses comptes de la campagne présidentielle et du possible emploi, en France, par son mouvement d’assistants rémunérés par le Parlement européen (où Jean-Luc Mélenchon a été élu en 2014, avant d’en démissionner après les législatives de juin 2018). «Une nouvelle vague de saloperies est diffusée par la radiotélé d’Etat France Info», a dénoncé l’ex-candidat à l’Elysée, traitant les reporters concernés «d’abrutis» et de «menteurs». Avant d’appeler ses soutiens à la mobilisation: «Pourrissez-les partout où vous pouvez. Il faut qu’à la fin des milliers de gens disent: les journalistes de France Info sont des menteurs, des tricheurs.»
Un torrent de boue
L’affaire, aussitôt transformée en incendie sur les réseaux sociaux, ressemble trait pour trait aux saillies d’un autre dirigeant habitué à vilipender la presse et les juges: le président américain Donald Trump. C’est en effet dans le cadre tout à fait légal d’une enquête préliminaire qu’une dizaine de policiers ont été dépêchés, mardi, par la procureure générale de Paris Catherine Champrenault. Un dispositif certes très lourd du côté des forces de l’ordre, mais qu’il faut remettre dans le contexte d’une France où d’autres mouvements politiques, comme le Rassemblement national de Marine Le Pen, sont poursuivis pour les mêmes motifs, avec souvent des scènes de résistance du côté des élus.
Y a-t-il eu, donc, exagération et mise en scène volontaire de la part de magistrats résolus «à se payer» Mélenchon, comme le soutiennent certains éditorialistes tel Franz-Olivier Giesbert? Ou est-ce au contraire l’élu qui, furieux de se voir pointé du doigt pour des présumées irrégularités financières commises par son mouvement et l’une de ses principales communicantes (Sophia Chikirou), a préféré attaquer et créer la polémique pour noyer le poisson judiciaire dans un torrent de boue médiatique et se présenter en victime?
La vérité, pour l’heure, semble plutôt pencher du côté de cette seconde thèse. Depuis des semaines, La France insoumise est le théâtre de règlements de comptes acides au sujet des pratiques financières de Sophia Chikirou, dont le site Mediapart affirme qu’elle est la compagne de Jean-Luc Mélenchon, ce que ce dernier nie avec énergie. Au sein même du parti, la stratégie de la colère suivie par Jean-Luc Mélenchon agace d’autres élus, comme le réalisateur François Ruffin, député de la Somme, le département d’où est originaire le président Emmanuel Macron. Les dénonciations de sa gestion sans partage du mouvement, alors qu’il a 67 ans et sera septuagénaire lors du prochain scrutin présidentiel de 2022, ont fissuré l’édifice en interne.
«Pourrissez-les»
Plus révélateur encore: les crises à répétition survenues au Média, la chaîne sur internet des Insoumis conçue en partie par Sophia Chikirou. A chaque fois, l’information s’est retrouvée otage des conflits de personnes: «Mélenchon aurait très bien pu dénoncer calmement les perquisitions, estime un magistrat joint au téléphone par Le Temps. Or il a empêché mardi que celles-ci se déroulent normalement en cherchant à pénétrer dans les locaux sécurisés par la police. Il a hurlé contre des policiers qui faisaient leur travail. Il joue l’amalgame: journalistes+ justice = pensée unique anti-France insoumise. Or c’est archi-faux! Mediapart est tout sauf «macronien». Et beaucoup de reporters de Radio France étaient, lors de la présidentielle, favorables à la gauche radicale!»
Les journalistes étaient jusque-là habitués aux frasques mélenchonistes. Le Temps, comme quotidien suisse, a plusieurs fois été interpellé par l’élu en raison de la complicité présumée de notre titre avec l’establishment bancaire. L’élément nouveau est l’appel au peuple du «Pourrissez-les», la volonté de discréditer les médias et de remplacer le débat par l’anathème. Explication: «Jean-Luc Mélenchon joue la caisse de résonance pour semer le doute, analysait ce week-end dans une de ses interventions l’éditorialiste Frédéric Says. Il pense que les électeurs, eux aussi en colère, oublieront ses propos violents. Sa furie est un écran de fumée.» Sauf qu’à force de tirer au lance-flammes, c’est l’image d’homme d’Etat, capable de diriger la France, qui se retrouve carbonisée.
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