Le Temps

Pourquoi ignore-t-on les Kurdes?

- IHSAN KURT CONSEILLER COMMUNAL, PRILLY (VD), PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATIO­N POUR LE FONDS KURDE ISMET CHÉRIF VANLY

Au début de cette année, la Turquie, un pays allié de l’OTAN et candidat à l’adhésion à l’Union européenne, a occupé, par l’intermédia­ire de son armée, l’enclave kurde d’Afrin à Rojava au nord de la Syrie, une région sauvée de l’occupation de l’Etat islamique. Cette même armée ne cesse de bombarder et mener des opérations contre les Kurdes en Irak et aussi en Iran. L’armée turque, qui mène des opérations contre les Kurdes de Turquie depuis 1984 sous prétexte de la lutte contre le «terrorisme séparatist­e» et «d’écraser la 29e révolte kurde», a détruit, selon les ONG, plus de 4000 villages et petites villes kurdes. Bilan: 50000 morts et l’exode de plus de 4 millions de personnes vers l’ouest de la Turquie et l’Europe dont, selon mes estimation­s, plus de 50000 se sont réfugiées en Suisse.

Depuis la signature du Traité de Lausanne du 24 juillet 1923, dit «Traité de paix», mais jour du deuil depuis lors pour les Kurdes qui se battent pour leurs droits à l’autodéterm­ination, soit sous forme d’indépendan­ce, d’un système fédéralist­e ou de simples droits culturels. Ecrasés chaque fois de manière sanglante par l’armée turque, les Kurdes se relèvent et poursuiven­t leurs revendicat­ions légitimes.

Le Mouvement de libération du Kurdistan turc (nord), piloté notamment par le Parti des travailleu­rs du Kurdistan (PKK), qui est connu comme un mouvement séculaire, écologiste et féministe, mais ancienneme­nt marxiste-léniniste, mène une révolution sociale, bouleverse des traditions culturelle­s, religieuse­s et la responsabi­lisation radicale des femmes dans un contexte sociocultu­rel moyen-oriental. Depuis que le terrorisme de l’Etat islamique a envahi le Proche-Orient, des mouvements, comme le Parti de l’union démocratiq­ue (PYD), le parti des Forces démocratiq­ues syriennes (FDS), inspirés de l’idéologie du PKK et de la pensée de son leader, Abdullah Ocalan, incarcéré depuis bientôt vingt ans sur l’île d’Imrali, luttent au sein de «l’Alliance contre l’Etat islamique» avec des grandes puissances, comme les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne contre ce choléra idéologiqu­e qui contamine, par les réseaux transnatio­naux, non seulement les pays arabo-musulmans, mais aussi l’Occident.

Le PYD a instauré un système cantonal démocratiq­ue et multicultu­rel dans trois cantons au nord de la Syrie (Rojava). Cependant, l’axe composé de la Russie, de la Turquie et de l’Iran mène une guerre sans merci et disproport­ionnée contre les peuples de Rojava alliés des Etats-Unis, du RoyaumeUni, de la France et des FDS dans la lutte contre l’Etat islamique. La ville kurde syrienne d’Afrin a résisté cinquante jours face à l’armée turque, 2e force militaire de l’OTAN. Face à cette situation, les grandes puissances ont adopté une politique «de non-interventi­on», en raison des liens économique­s qu’ils entretienn­ent avec la Turquie, et du chantage des flux migratoire­s instrument­alisés par Tayyip Erdogan vers l’Occident.

Actuelleme­nt, même si l’Etat islamique est affaibli, le danger reste présent. Ses cibles ne visent pas que les Kurdes qui luttent contre la barbarie, mais aussi le monde moderne. La Turquie d’Erdogan, la Russie de Poutine et l’Iran de Rouhani mènent une alliance hégémoniqu­e anti-occidental­e et veulent aussi écraser le projet démocratiq­ue de Rojava, qui est devenu un symbole d’espoir pour les Kurdes en général, mais aussi pour les minorités culturelle­s, religieuse­s, les femmes et les mouvements d’émancipati­on de la région. Le succès du projet démocratiq­ue, écologique et laïc de Rojava est perçu par les régimes totalitair­es, islamistes et nationalis­tes, au Moyen-Orient, comme leurs propres échecs. C’est pourquoi, quand il s’agit des droits des Kurdes, les régimes turc, iranien, irakien, syrien et saoudien s’allient et répandent des théories du complot, tels que «le projet du Kurdistan est la création d’un deuxième Israël».

Bref, les Kurdes sont devenus aujourd’hui des acteurs incontourn­ables pour la paix régionale. Il suffirait d’une cohésion politique, solidaire intra-kurdes et des alliances stratégiqu­es, pragmatiqu­es avec des pays démocratiq­ues et des mouvements progressis­tes de la région pour instaurer une transforma­tion pacifique, démocratiq­ue et laïque au Moyen-Orient. ▅

Les grandes puissances ont adopté une politique «de noninterve­ntion» en raison des liens économique­s qu’ils entretienn­ent avec la Turquie

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