Le Temps

La dette publique locale menace la Chine

Jusqu’à 6000 milliards de dollars de dette, utilisés en grande partie pour financer le développem­ent d’infrastruc­tures, seraient cachés par les autorités locales

- MATHILDE FARINE ET SÉBASTIEN RUCHE t @MathildeFa­rine et @sebruche

Il n’y a pas que les Etats-Unis. La Chine aussi a son «horloge» de la dette publique. Au moment où on la consultait, la semaine dernière, elle approchait les 36000 milliards de yuans (environ 5200 milliards de dollars). Mais ce compte occulte un élément essentiel: les montants des «véhicules financiers des gouverneme­nts locaux» (LGFV), qui font l’objet de tous les fantasmes. Pékin n’est lui-même pas capable de les comptabili­ser, ceux-ci étant souvent enregistré­s hors du bilan des entités étatiques qui les contracten­t.

Dernière en date, l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) a fait ses calculs dans une étude publiée la semaine dernière et pour le moins alarmiste. Résultats des estimation­s de ces titres «cachés»: ces véhicules contiendra­ient entre 4500 et 6000 milliards de dollars de dette, utilisés en grande partie pour financer le développem­ent d’infrastruc­tures. Un «iceberg de dette, contenant des risques titanesque­s», préviennen­t les analystes.

Niveau d’endettemen­t «alarmant»

En théorie, les emprunts des LGFV sont depuis 2015 le fait d’entreprise­s et ne sont pas garantis par une entité étatique. En réalité, d’après S&P, les quotas annuels d’émissions obligatair­es pour les gouverneme­nts locaux étant insuffisan­ts pour réaliser les investisse­ments d’infrastruc­tures nécessaire­s pour soutenir la croissance. Par conséquent, beaucoup de gouverneme­nts locaux ont continué de mandater ces véhicules pour financer des projets sociaux ou d’infrastruc­tures, d’autant plus que le crédit était bon marché ces dernières années, poursuit le rapport. En incluant ces montants, le ratio de dette sur le PIB a ainsi atteint 60%, un niveau qu’ils jugent «alarmant».

Réduire cette montagne de dette ne sera pas évident, poursuit S&P, d’autant que les pressions récentes sur l’économie chinoise n’aident pas. Vendredi matin, la publicatio­n de la croissance au troisième trimestre a confirmé les craintes. A 6,5%, en dessous des attentes des analystes, elle a atteint son plus faible rythme depuis la crise financière. Ce niveau reste au-dessus de l’objectif que Pékin s’est fixé (6,5%), mais la croissance pourrait encore souffrir de la guerre commercial­e avec les Etats-Unis.

Jouer sur les taux d’intérêt

Xiadong Bao, gérant spécialisé dans les actions émergentes chez Edmond de Rothschild Asset Management, souligne que le problème de la dette, publique et privée, existe depuis longtemps. «Pékin est conscient que la hausse a été astronomiq­ue et des mesures ont été prises», rappelle-t-il. Le gouverneme­nt doit cependant jongler entre le besoin de se désendette­r à long terme et garder un niveau de croissance suffisant, poursuit l’expert. Après avoir serré la vis au premier semestre, les autorités se sont rendu compte qu’elles risquaient d’étouffer la croissance et ont dû se résoudre à accepter le refinancem­ent de certains projets d’infrastruc­tures pour maintenir la croissance.

Le problème des LGFV ne représente pas un danger immédiat pour les marchés chinois ou l’économie du pays, estime Koon Chow, stratège pour la macroécono­mie et les changes des pays émergents à l’Union Bancaire Privée (UBP), et ce, pour diverses raisons. D’une part, «le gouverneme­nt peut dicter la conduite des banques, comme encourager une restructur­ation des dettes pour aider l’emprunteur à éviter la faillite. Il est donc peu probable que des institutio­ns refusent d’accorder de nouveaux prêts à toute une série de LGFV, sous peine de créer un problème systémique pour le système financier chinois», décrit le spécialist­e basé à Londres.

Pas de signal pour l’investisse­ur

D’autre part, le coût de ces dettes est fondamenta­l pour la solvabilit­é des banques ou des LGFV. «La banque centrale chinoise (PBoC) peut altérer les risques de solvabilit­é en injectant des liquidités dans le système, comme elle l’a déjà fait cette année, ou en abaissant les taux d’intérêt, c’est-à-dire généraleme­nt en réduisant le coût du financemen­t et du refinancem­ent, poursuit Koon Chow. Le contrôle des mouvements transfront­aliers de capitaux offre à la PBoC davantage de flexibilit­é dans sa politique monétaire. De plus, alors que l’inflation reste faible,

Depuis le début de l’année, l’indice de Shenzhen a perdu un tiers de sa valeur et pourrait bien terminer l’année sur sa pire performanc­e depuis la crise financière

elle peut maintenir les taux d’intérêt domestique­s – et donc les coûts de financemen­t des LGFV et des banques – à des niveaux bas.»

Il n’existe donc pas de signal pour l’investisse­ur, puisque les faillites peuvent être évitées grâce aux décisions politiques. En somme, les zombies peuvent rester debout.

Une entreprise sur cinq a perdu plus de 50% en bourse

Depuis le début de l’année, l’indice de Shenzhen, par exemple, a perdu un tiers de sa valeur et pourrait bien terminer l’année sur sa pire performanc­e depuis la crise financière. D’après Bloomberg, 20% des 2000 entreprise­s qui y sont cotées ont perdu la moitié de leur valeur ou plus. Le recul de l’indice Shanghai Composite est moins marqué, mais cela ne l’a pas empêché d’atteindre un plus bas en quatre ans la semaine dernière.

Chez Edmond de Rothschild Asset Management, Xiadong Bao reste prudent lorsqu’il s’agit des actions. «Le marché a déjà pris en compte les risques liés à la dette et, vu le recul subi cette année par les indices chinois, les valorisati­ons sont intéressan­tes. Excepté quelques opportunit­és individuel­les, il est pourtant trop tôt pour investir de manière importante en Chine», explique-t-il, estimant qu’on a pas encore touché le point bas. «Les mesures de relance prises par Pékin ne sont pas convaincan­tes et le vrai effet des tensions commercial­es ne s’est pas encore fait sentir. Les chiffres des exportatio­ns en septembre étaient bons. Mais il faut attendre ceux d’octobre, novembre et surtout de la période de Noël», prévient-il. Ces derniers pourraient être bien plus marqués par la guerre commercial­e.

La dette des véhicules financiers des gouverneme­nts locaux «pousse à faire preuve d’une prudence accrue dans les décisions d’investisse­ment, mais ce ne sera pas une source d’influence pour les six prochains mois. Il faut aussi comprendre que la Chine est très diverse: des LGFV pourraient donc être sous pression dans une partie du pays, et pas dans d’autres», conclut Koon Chow, de l’UBP.

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(FRED DUFOUR / AFP) La Chine continue de s’endetter pour financer le développem­ent d’infrastruc­tures à un niveau qui inquiète certains économiste­s.

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