Le Temps

Scandale Danske Bank: les affaires rentables doivent susciter de la curiosité

- CARLO LOMBARDINI PROFESSEUR ASSOCIÉ UNIVERSITÉ DE LAUSANNE, AVOCAT AU BARREAU DE GENÈVE

Depuis des semaines, le scandale de blanchimen­t qui a agité la succursale estonienne de la Danske Bank fait la une de la presse financière. Le rapport établi par l’étude d’avocats, mandatée par Danske Bank pour mener une enquête interne approfondi­e, est maintenant accessible. Il est intéressan­t d’en évoquer les points principaux.

L’affaire concerne la clientèle non résidente de la succursale estonienne de la Danske Bank. Sur la période 2007-2014, 10000 clients environ étaient concernés, dont les avoirs sont passés de 400 millions d’euros fin 2007 à 1 milliard fin 2014. Comme souvent dans tout scandale bancaire, la lecture du rapport confirme que des signaux existaient, qui, sans être des signaux d’alarme à proprement parler, auraient certaineme­nt dû inciter la haute direction du groupe à prêter plus d’attention à ce qui se passait dans la succursale:

les clients étaient des clients non résidents, avec de nombreux comptes détenus par des structures, comptes sur lesquels transitaie­nt les paiements susmention­nés: la succursale devait donc affronter des risques avec lesquels elle n’était pas familiaris­ée, sans s’interroger de façon critique sur les motifs pour lesquels ces clients effectuaie­nt toutes ces transactio­ns in et out. Sans d’ailleurs se demander pourquoi les clients qui avaient, théoriquem­ent, besoin de services de private banking utilisaien­t la succursale d’une banque danoise en Estonie pour un important trafic de paiements, alors qu’ils ne semblaient guère avoir de rattacheme­nts avec ces deux pays;

les affaires avec ces clients représenta­ient un volume d’affaires massif qui, de surcroît, générait une bonne rentabilit­é pour la succursale: or les affaires rentables doivent déclencher non seulement de la satisfacti­on mais également de la curiosité;

dans un tel contexte, pour mener une politique anti-blanchimen­t (AML) efficace, il était nécessaire d’avoir des renseignem­ents étendus tant sur les comptes en banque qui approvisio­nnaient les comptes ouverts dans les livres de Danske Bank que sur les comptes en dehors de la banque qui étaient alimentés par les paiements effectués, ce qui est bien entendu très difficile. Dans certains cas (clients à réel haut risque qui entendent transférer leurs avoirs d’une banque à une autre), on ne peut qu’inciter les banques à demander des renseignem­ents notamment sur les comptes qui approvisio­nnent les comptes que les clients souhaitent ouvrir en ses livres; en réalité, la lutte AML telle que les autorités la souhaitent désormais ne peut plus vraiment être menée par un établissem­ent seul;

des signaux d’alarme avaient été ignorés: diverses instances internes (dont un whistleblo­wer) et externes (banques correspond­antes qui ne voulaient plus intervenir pour le trafic de paiements de la succursale en 2013 et en 2015; autorités de surveillan­ce) avaient suggéré qu’il fallait examiner les clients concernés et leurs transactio­ns de plus près;

les systèmes informatiq­ues de la maison mère n’avaient pas été utilisés: au-delà d’une certaine taille, il est extrêmemen­t difficile de mener une politique AML efficace si l’on ne dispose pas de systèmes informatiq­ues efficients pour fournir rapidement les informatio­ns pertinente­s aux diverses lignes de défense. L’interventi­on manuelle prend du temps, suscite des retards et des erreurs. Les activités de contrôle et de remédiatio­n sont plus longues et difficiles; d’où les efforts en la matière en utilisant l’intelligen­ce artificiel­le;

ce portefeuil­le important de clients, aux activités atypiques, avec des flux financiers considérab­les et une rentabilit­é intéressan­te, ne faisait pas l’objet d’un examen et d’un reporting ad hoc aux instances supérieure­s du groupe: le thème est important à un moment où les conseils d’administra­tion de banques en Suisse doivent se plonger dans des analyses de risques beaucoup plus précises et granulaire­s. Et pour le faire avec intelligen­ce, ils doivent inéluctabl­ement connaître précisémen­t les activités pouvant générer ces risques.

Administra­teurs conscients des problèmes

Enfin, sur le thème de la responsabi­lité du conseil d’administra­tion, le rapport estime que les administra­teurs étaient certes conscients de l’existence de problèmes; simultaném­ent, des assurances leur étaient fournies sur le fait que les risques étaient sous contrôle. Conclusion guère surprenant­e.

Compte tenu de l’écho de cette affaire, on ne peut qu’être surpris de lire dans le rapport qu’en réalité aucun signe d’un cas concret de blanchimen­t n’a été détecté lors de cette enquête approfondi­e. Mais ceci est en réalité compréhens­ible.

D’abord, parce que le terme «blanchimen­t» ne se définit plus dans l’acception pénale technique mais est utilisé d’ores et déjà en présence de mouvements financiers importants et fréquents dont la justificat­ion n’est pas immédiate.

Ensuite, parce que dans la perspectiv­e de l’autorité de surveillan­ce, il ne s’agit pas de savoir si un acte de blanchimen­t a eu lieu concrèteme­nt mais de déterminer quel est le risque de blanchimen­t compte tenu des affaires de l’établissem­ent et de ses systèmes de contrôle. Or il est évident qu’avec les divers éléments factuels évoqués ci-dessus, ce risque était bien réel à la succursale estonienne de la Danske Bank.

 ?? (INTS KALNINS) ?? Entre 2007 et 2015, quelque 200 milliards d’euros ont transité dans la succursale de la Danske Bank à Tallinn, en Estonie, sur les comptes de 15 000 clients étrangers non résidents. Plusieurs dizaines de milliards d’euros pourraient être de l’argent sale, provenant essentiell­ement de Russie.
(INTS KALNINS) Entre 2007 et 2015, quelque 200 milliards d’euros ont transité dans la succursale de la Danske Bank à Tallinn, en Estonie, sur les comptes de 15 000 clients étrangers non résidents. Plusieurs dizaines de milliards d’euros pourraient être de l’argent sale, provenant essentiell­ement de Russie.
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