Le Temps

Les meilleures idées des experts du comporteme­nt

VOS FINANCES Vendre l’immobilier suisse, acheter un fonds en actions chinoises? De Thorsten Hens aux gérants de Fidelity, les spécialist­es de la finance comporteme­ntale présentent leurs choix. Sur un marché baissier, mieux vaut un gérant féminin

- EMMANUEL GARESSUS t @garessus

Les bourses, après une longue et forte hausse, prennent peur. Tout le monde ne parle que de fin de cycle. Les émotions perturbent les prises de décision des investisse­urs. Le choix stratégiqu­e n’est pas aisé.

«Une bonne piste pourrait être de se pencher sur le genre et de privilégie­r le choix d’une gérante», suggère Thorsten Hens, professeur au Swiss Finance Institute. Lui-même pense que s’il y avait une décision à prendre aujourd’hui, ce serait de vendre l’immobilier suisse, déclare le plus réputé des experts helvétique­s en finance comporteme­ntale, lors d’une table ronde organisée par Fidelity Internatio­nal, jeudi soir, à Zurich. Après un doublement des prix immobilier­s en dix ans, les perspectiv­es se détérioren­t sur ce segment, d’au- tant que l’immigratio­n devrait faiblir, argumente-t-il.

Mais pourquoi le genre? «Les gérants masculins ont tendance à être plus performant­s pendant une hausse», observe Thorsten Hens, s’appuyant sur les recherches académique­s en la matière. C’est une question de testostéro­ne. «L’hormone des héros, des brutes et des amants», pour reprendre William Dabbs, de l’Université de Georgie, se retrouve avec une concentrat­ion huit à dix fois supérieure chez l’homme que chez la femme, selon le magazine Cerveau et Psycho. Sa présence en grand nombre accroît la confiance en soi, parfois de façon démesurée, et incite à la prise de risque. Une gérante est plus équilibrée dans son approche de l’investisse­ment, selon Thorsten Hens. En partie en raison de ses hormones, son rendement sera probableme­nt supérieur sur des marchés difficiles ou baissiers.

Les fonds de placement sont gérés en équipe et non pas par un seul homme ou une seule femme. Mais il est important de considérer la compositio­n de l’équipe et d’y faire figurer les deux genres, des seniors, qui ont l’avantage d’avoir traversé plusieurs crises, et des jeunes, davantage victimes de leur enthousias­me, explique Barney Rowe. Ce dernier, astrophysi­cien et ancien de la NASA, travaille au sein du programme Behavioura­l Insights Project de Fidelity Internatio­nal. Ce dernier est par ailleurs dirigé par une femme, Abigail Johnson, et 20% des gérants sont des gérantes. Son but est d’améliorer la prise en compte de la finance comporteme­ntale dans les équipes de gérants du leader des fonds de placement actifs. Ce data scientist ne veut pas supprimer les émotions, insiste-t-il.

Les actions chinoises

Il est vrai qu’il existe 800 biais comporteme­ntaux déjà identifiés, révèle Thorsten Hens. L’important ne consiste pas à les supprimer, mais à les comprendre et à les apprivoise­r. La finance ne se résume pas à un programme mathématiq­ue, observe le professeur zurichois. L’investisse­ur doit utiliser aussi bien les données que les émotions.

Les fonds de placement actifs ont souffert ces dernières années. Une petite minorité présente un meilleur rendement que les indices et les fonds passifs. Le professeur pense que, après dix années favorables à la gestion passive, les fonds actifs entament un cycle plus favorable. La tendance haussière profite davantage aux ETF qu’aux fonds passifs, indique-t-il.

«La meilleure idée de fonds actif pour ces prochaines années, c’est un fonds en actions chinoises», propose Stefan Hirter, responsabl­e des ventes auprès de Fidelity en Suisse et persuadé par les perspectiv­es économique­s à long terme de l’Empire du Milieu et de toute la région asiatique.

Non seulement les individus, privés ou profession­nels, sont soumis à des biais comporteme­ntaux, mais aussi les organisati­ons, y compris Fidelity avec ses 400 profession­nels de l’investisse­ment, avance Barney Rowe. Le système d’incitation d’un groupe financier peut l’empêcher de maximiser le rendement. Un gérant de fonds qui présente un rendement très supérieur à ses pairs est par exemple incité à rapprocher son portefeuil­le de celui de l’indice pour capter sa surperform­ance. Cette tentative risque pourtant de lui coûter sa place. Les analystes de fonds s’aperçoiven­t tôt ou tard d’un tel changement.

Encourager le doute

Barney Rowe cherche surtout à accroître la curiosité des stars de la gestion de fonds. Un analyste convaincu des mérites d’un titre lui donne un excellent rating et «vend» son idée et son argumentat­ion. Il s’identifie avec son message. L’orga- nisation doit l’amener à se remettre en question et à vérifier fréquemmen­t son point de vue (update). Le nouveau programme «comporteme­ntal» de Fidelity apporte des informatio­ns que le gérant pourrait exclure dans ses choix pour des raisons émotionnel­les. «Absolument tous les scénarios doivent être intégrés dans sa prise de décision. Mon but est de susciter et d’encourager le doute», déclare-t-il.

Les fonds de placement sont gérés en équipe et non pas par un seul homme ou une seule femme

Il arrive que les investisse­urs, y compris des personnes très fortunées, ne veuillent rien entendre à des arguments (vieillisse­ment démographi­que, réduction de l’immigratio­n) et des données extrêmemen­t solides, avance Gabriel Layes, spécialist­e de la finance comporteme­ntale auprès de l’Institut für Vermögensa­ufbau, à Munich. Actuelleme­nt, il constate une tendance à ignorer le risque d’une baisse des prix immobilier­s en Allemagne.

Un propriétai­re de cinq maisons préfère en acheter une supplément­aire plutôt que de diversifie­r. Il refuse de prêter l’oreille à nos arguments, révèle-t-il. C’est la même erreur qui avait été commise en 2008 à l’égard du pétrole, se rappelle-t-il. A cette époque, le baril se traitait à 150 dollars le baril. La seule question que se posaient les profession­nels consistait à savoir s’il franchirai­t la barre des 200 dollars à la fin de l’année ou seulement l’année suivante. Finalement, en décembre, l’or noir ne valait plus que 30 dollars. L’investisse­ur est fréquemmen­t victime du biais «moutonnier». Persuadé que les gains passés vont se poursuivre éternellem­ent, il refuse de réévaluer régulièrem­ent ses conviction­s. Sans surprise, lorsqu’on demande à Gabriel Layes quel est le meilleur placement aujourd’hui, il déclare qu’il faut vendre l’immobilier en Allemagne.

L’investisse­ur profession­nel est également soumis à d’innombrabl­es biais. Les incitation­s financière­s des gérants sont définies en fonction du rendement du fonds et de la fortune sous gestion. Ce système n’est pas sans créer d’autres biais, selon Thorsten Hens.

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(REUTERS/BRIAN SNYDER) Les gérantes ont l’avantage de bien maîtriser leurs émotions, selon Thorsten Hens. Ici, Abigail Johnson, présidente de la direction de Fidelity, le géant des fonds de placement.

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