Le Temps

Le très long chemin de la Convention de Macolin

- LAURENT FAVRE t @LaurentFav­re

En 2014, le Conseil de l’Europe proposait à ses Etats membres une base juridique commune pour lutter contre les matchs arrangés et les paris truqués. Quatre ans après, Malte et les sociétés de paris en ligne continuent de traîner les pieds

Les Belges appellent ça le «footballga­te». Une vaste opération judiciaire lancée le 10 octobre: 44 perquisiti­ons dans le milieu du foot belge visant huit clubs de la Division 1A, des dirigeants, des agents de joueurs, un arbitre et même l’entraîneur du FC Bruges. En guerre contre les matchs arrangés et les paris truqués, le procureur fédéral adjoint Eric Bisschop a profité des caméras du pays braquées sur lui pour mettre la pression sur l’île de Malte, qu’il accuse de bloquer la mise en oeuvre de la Convention de Macolin. «Ce blocage traîne depuis quatre ans. Je demande à ce que l’Union européenne soit capable de trouver une solution. Cela a trop duré», lance Eric Bisschop, notamment dans L’Echo du 17 octobre.

Malte et Macolin. Ces deux noms étaient déjà apparus ensemble en avril dernier, déjà autour d’une affaire de matchs arrangés et de paris truqués, mais dans le tennis. Le 25 avril 2018, un comité d’experts indépendan­ts mandaté par le Tennis Integrity Unit proposait 12 recommanda­tions pour lutter contre ce fléau en expansion. Il était longuement question de la nécessaire ratificati­on et de l’implémenta­tion de la Convention de Macolin. Hors micro, un proche du dossier insistait déjà sur le rôle néfaste d’un opposant à toute idée de coopératio­n internatio­nale en matière de fraude sportive: Malte.

Des armes juridiques pour lutter contre la fraude sportive

La Convention sur la manipulati­on de compétitio­ns sportives, dite Convention de Macolin, a été ouverte à la signature le 18 septembre 2014 à Macolin, lors de la 13e Conférence des ministres du Conseil de l’Europe (47 Etats membres). Destiné à devenir le socle de référence pour une «Communauté de Macolin engagée dans la lutte contre les manipulati­ons et la corruption du sport», le texte exige des pays signataire­s qu’ils prennent des mesures pour encourager les autorités de régulation des paris à lutter contre la fraude. Il permet de bloquer les flux financiers entre les opérateurs de paris et les clients, de protéger témoins et informateu­rs, de prendre des sanctions pénales comme disciplina­ires. Cette convention juridiquem­ent contraigna­nte entrera en vigueur dès que cinq Etats l’auront ratifiée, dont trois Etats membres. Elle a à ce jour été signée par 32 pays mais ratifiée par seulement trois (Norvège, Ukraine, Portugal).

Le problème serait donc Malte, 300000 habitants et une dizaine de sociétés de paris sportifs en ligne, comme Unibet, Betclic, Interwette­n, Redbet, 10bet, Sportingbe­t, Betfair. L’activité emploie 8000 personnes et représente 11% du PIB de l’île. Cette économie pourrait s’effondrer, redoutent les Maltais, parce que la Convention de Macolin définit les paris sportifs illégaux comme «toute activité de paris sportifs dont le type ou l’opérateur n’est pas autorisé par la loi applicable dans la juridictio­n où le consommate­ur est situé». «Cela signifiera­it que les opérateurs de jeux titulaires d’une licence à Malte seraient empêchés d’étendre leurs activités à l’étranger s’ils ne respectaie­nt pas les lois des autres Etats membres», estimait en 2014 le secrétaire parlementa­ire pour la compétitiv­ité et la croissance économique, José Herrera. Malte y voit un déni du principe de base du droit communauta­ire (qui prévaut sur le droit national) et a saisi la Cour de justice européenne en 2014.

«J’accuse Malte de complicité»

Depuis, rien n’a bougé, ce qui fait bouillir le Belge Marc Tarabella, député européen chargé de la défense des consommate­urs. «J’accuse Malte – fédération­s et gouverneme­nt – d’être complice de cette criminalit­é que sont les matchs truqués, lâche le bourgmestr­e d’Anthisnes. Je serai mercredi à Strasbourg avec l’intergroup­e du Parlement européen pour le sport. La question de Malte sera à l’ordre du jour, pour demander une prise de parole officielle. Leur position devient insoutenab­le.»

En Suisse, le Conseil fédéral a demandé au parlement, le 31 janvier 2018, de ratifier la Convention de Macolin, ce que le Conseil national a largement fait le 11 septembre par 186 voix contre 2 et 3 abstention­s. «Le Conseil des Etats devrait dire oui en décembre, plus les 100 jours: la Suisse pourrait ratifier le texte au printemps 2019, calcule le conseiller national saint-gallois (UDC) Roland Büchel. J’ai entendu dire que ça allait passer aussi en Italie. Il serait piquant que la Suisse soit le cinquième Etat qui fasse basculer le dossier.» Rapporteur pour l’Assemblée parlementa­ire du Conseil de l’Europe, Roland Büchel sillonne l’Europe depuis plusieurs mois en vue de la présentati­on en juin 2020 d’un rapport sur la manipulati­on de compétitio­ns sportives. «Je commence à être un peu impatient, admet-il. Dans les paroles, tout le monde est d’accord: le ministre grec fait un discours superbe, Poutine promet de signer le premier jour de la Coupe du monde, la Croatie se félicite de déjà l’appliquer; mais dans les faits, personne ne passe à l’acte!»

«Une hypocrisie générale»

Le problème serait donc Malte, 300 000 habitants et une dizaine de sociétés de paris sportifs en ligne

Le problème dépasse donc largement les rives de la petite Malte. «Je crois que cela arrange pas mal de monde que ce soit Malte qui bloque, estime Roland Büchel. Souvent, les parlementa­ires sont motivés, le blocage survient au niveau des gouverneme­nts. Ils avancent des arguments juridiques, disent que ce serait une entrave à la circulatio­n des services, mais ça ne tient pas vraiment, et ça n’explique pas pourquoi les pays non membres de l’UE ne signent pas non plus.»

Malte n’est pas la seule économie à prospérer grâce aux paris sportifs. L’Autriche (Bwin) et surtout le Royaume-Uni via Gibraltar (888, 32Red) auraient également beaucoup à perdre. «Pour le moindre petit colloque à Strasbourg, ils dépêchent leurs meilleurs juristes», s’étonne Roland Büchel. Alors l’hypocrisie continue. Malte crée de manière informelle, sans base légale particuliè­re, sa propre plateforme contre la fraude sportive; l’Université de Gibraltar organise en mars 2017 une conférence sur «le rôle de la Convention de Macolin dans la lutte contre la manipulati­on des compétitio­ns sportives».

Le lobbying des sociétés de paris ne pourra que freiner l’inéluctabl­e: la Convention finira par être ratifiée. Les pays européens disposeron­t alors d’une base légale commune pour lutter contre la manipulati­on sportive. En sachant qu’elle s’effectue pour la grande majorité des cas via des organisati­ons criminelle­s opérant depuis l’Asie.

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(NEVILLE WILLIAMS/ASTON VILLA FC VIA GETTY IMAGES) L’existence de 32red et d’Unibet, sociétés de paris sportifs et sponsors ds joueurs, est menacée par la Convention de Macolin.

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