De Skype à la philanthropie low cost, le pari d’un capital-risqueur
Rencontre avec Hugo Mahieu, qui s’est lancé dans la philanthropie en 2008 après avoir réalisé de très profitables investissements dans le secteur technologique
C’est à la suite d’un pari que Hugo Mahieu s’est lancé dans la philanthropie. Un pari lancé au début des années 2000, lorsque ce Luxembourgeois spécialiste du capital-risque rencontre le patron d’une start-up estonienne. Habitués à investir dans des projets technologiques, ses collègues de Mangrove Capital Partners et lui ne sont pas vraiment emballés par cette réunion, qui changera pourtant leur vie.
«Au départ, le discours de notre interlocuteur manquait de conviction, sa vision était intéressante mais nous n’étions pas entièrement persuadés, se souvient aujourd’hui Hugo Mahieu. Ce qui nous a poussés à investir, c’est lorsqu’il a branché son casque sur son ordinateur pour passer un coup de fil.»
Ce start-upper était l’un des fondateurs de Skype, le logiciel de téléphonie par internet, qui sera acquis par eBay en 2005 pour 2,6 milliards de dollars (puis revendu à Microsoft pour 8,5 milliards en 2011). Mais au sortir de cette réunion, Mangrove Capital Partners n’investit que de manière très modérée dans la future licorne, l’appellation donnée aux sociétés valorisées à plus d’un milliard.
Quelques centaines de milliers d’euros sont injectés dans Skype, une paille dans le milieu du private equity, où les prises de participations se font au minimum en millions. Ce «pari» a peut-être aussi été encouragé par les difficultés que rencontrait à l’époque le premier fonds lancé par Mangrove Capital, qui s’apprêtait à devoir faire des économies.
Ce ne sera pas nécessaire. Au contraire, «la vente de notre participation dans Skype en 2005 nous a propulsés parmi les fonds de private equity les plus performants, ce qui nous a permis de lever un deuxième fonds», poursuit Hugo Mahieu, récemment de passage à Genève pour participer à une conférence sur la philanthropie.
Par la suite, Mangrove Capital
«La vente de notre participation dans Skype en 2005 nous a propulsés parmi les fonds de private equity les plus performants»
investira dans trois start-up, qui deviendront des licornes: la plateforme de création de site internet israélienne Wix (qui vaut actuellement 4,7 milliards de dollars à la bourse américaine), la société de marketing en ligne Brands4Friends ou le logiciel de messagerie Nimbuzz. Si l’un des cofondateurs de Mangrove Capital, Gérard Lopez, devient propriétaire de l’écurie de formule 1 Lotus entre 2009 et 2015, avant d’investir dans le club de football de Lille, dans le nord de la France, Hugo Mahieu et deux de ses associés ont pris une autre direction, s’impliquant dans la philanthropie à partir de 2008.
Déclencher des cofinancements
Depuis, leur fondation Mangrove a financé des projets dans les pays émergents, liés à l’environnement et à l’émancipation des femmes. Reforestation, irrigation ou éducation en Afrique subsaharienne et en Asie, «nous voulons surtout lancer des mouvements, déclencher des cofinancements, notamment avec des ONG, qui peuvent avoir accès à des fonds publics et ensuite mettre les projets en oeuvre pour obtenir des résultats mesurables», décrit Hugo Mahieu, qui se consacre à plein temps à la philanthropie depuis qu’il s’est retiré du private equity l’an dernier.
Les sommes engagées restent relativement modestes. En dix ans, la fondation Mangrove a distribué elle-même un peu plus de 300000 euros (340000 francs), adossés à des cofinancements dépassant le million d’euros. Lancée avec quelques centaines de milliers d’euros, la structure peut néanmoins fonctionner et avoir un impact, en appliquant les principes du capital risque et en contenant les coûts : «Avec notre budget, une fondation autonome n’aurait pas été viable, car trop coûteuse, poursuit notre interlocuteur. Notre structure est abritée par la Fondation de Luxembourg, ce qui limite les contraintes administratives.»
Une fondation abritante les philanthropes qui ne souhaitent pas établir une fondation autonome, explique Maximilian Martin, responsable de la philanthropie chez Lombard Odier: «Une fondation abritante fournit la structure, assume la gouvernance, assure des coûts de fonctionnement inférieurs à une fondation autonome et met à disposition son expertise philanthropique». Pour être exonérée d’impôt, une fondation doit être reconnue d’utilité publique dans sa juridiction.
Dans le cas de Mangrove, la Fondation de Luxembourg prélève 5000 euros par année et 5% des donations effectuées. D’autres fondations abritantes facturent des frais fixes, par exemple d’un montant de 3000 francs par an pour Philanthropia, à Genève. «Les projets lancés par Mangrove ont pour l’instant touché environ 100000 personnes, notre objectif reste de changer la vie d’un demi-million d’individus», conclut Hugo Mahieu.
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