Le Temps

«Interdire le Replay? Catastroph­ique!»

Directrice du câblo-opérateur UPC depuis le 1er septembre, Severina Pascu affirme qu’elle pourra stabiliser, voire augmenter de nouveau le nombre d’abonnés en télévision. Elle défend le «Replay TV»

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Première femme à diriger une grande entreprise de télécoms en

Suisse, Severina

Pascu explique comment elle compte stabiliser, voire augmenter le nombre d’abonnés en télévision du câblo-opérateur UPC.

C’est une première. Jamais une femme n’avait dirigé une grande entreprise de télécoms en Suisse. Le 1er septembre, c’est une Roumaine, Severina Pascu, qui a pris la direction d’UPC. A la tête du câblo-opérateur, cette femme de 45 ans était jeudi dernier de passage dans les locaux de Renens (VD) pour discuter avec le personnel. L’occasion de rencontrer une spécialist­e des télécoms qui a occupé plusieurs fonctions pour UPC, en Pologne, en Hongrie, en République tchèque, en Roumanie, en Slovaquie et au Luxembourg, avant de devenir directrice opérationn­elle d’UPC Suisse en janvier 2018. Le 1er septembre, elle a succédé à Eric Tveter, qui, après neuf ans à la tête d’UPC Suisse, en deviendra le président.

Severina Pascu arrive à la tête d’un téléréseau dans une position particuliè­re. Sur le front interne, l’entreprise, forte de 1500 employés, ne cesse de perdre des clients sur son marché historique, celui de la télévision, alors qu’il croît dans celui de l’accès à internet et de la téléphonie mobile. Au niveau du continent, Liberty Global, propriétai­re américain d’UPC, s’est récemment séparé de plusieurs filiales où a travaillé Severina Pascu: en Autriche, en Allemagne, en République tchèque, en Hongrie et en Roumanie. Autant dire que l’avenir d’UPC Suisse est au coeur de toutes les questions. Entretien en anglais, avec une femme qui possède des notions de français mais ne parle pas allemand.

Vous êtes la première femme à diriger un groupe de télécoms en Suisse. Votre parcours, pour y arriver, a-t-il été compliqué?

Non. J’ai grandi en me disant que s’il y avait un travail à faire, j’allais le faire. Point. Quand j’étais petite, je jouais au football avec des garçons et je m’entraînais aussi au handball, contre des garçons, car notre coach voulait nous rendre ainsi plus fortes. La question de genre ne m’a jamais préoccupée. Et j’ai eu la chance d’avoir des hommes forts comme mentors au cours de ma carrière. Ils ont cru en moi. Et je croyais en moi.

Lors du dernier trimestre, UPC a perdu 36 000 clients pour la télévision, votre marché historique. Vous en comptez désormais 1,14 million. Cette érosion est-elle sans fin?

Absolument pas. Nous pouvons encore croître en Suisse, en améliorant la qualité de nos produits et en augmentant la satisfacti­on de nos clients, et nous avons un plan en ce sens pour les trois ou quatre prochaines années. Oui, nous perdons des clients en télévision, mais c’est, d’un côté, naturel, car c’était notre marché historique. En face, Swisscom perd, lui aussi, des abonnés sur le marché de la téléphonie mobile. D’un autre côté, je ne veux pas rester passive et nous agissons. Nous offrons déjà les meilleurs internet et wifi à la maison. En effet, selon une étude indépendan­te, nos clients disposent d’une vitesse internet en moyenne deux fois plus rapide que Swisscom et Sunrise, avec plus de 100 mbit/s. Nous sommes le seul à proposer cette vitesse, où que vous soyez. Et nous allons augmenter encore la vitesse en 2019.

Sur le marché de la télévision, que pouvez-vous faire?

Nous venons de lancer une nouvelle plateforme TV, avec d’excellents retours. Et nous voulons diffuser ce nouveau boîtier à un maximum de nos clients.

Espérez-vous croître à nouveau sur ce marché?

Nous remarquons déjà que le nombre de clients qui nous quittent baisse, et je veux aller plus loin en augmentant à terme notre part de marché. Mais ce qui compte avant tout pour moi, c’est d’offrir encore davantage à nos clients existants et qu’ils souscriven­t à plus de produits chez nous. C’est une autre façon d’accroître nos revenus. Nos clients optent ainsi pour des débits internet plus élevés, ils s’abonnent à notre chaîne MySports Pro (25 francs par mois, ndlr). Et le nombre de clients mobiles ne cesse d’augmenter.

Depuis cet été, Salt offre un débit internet et une offre TV très concurrent­iels. En souffrez-vous?

C’est une offre très concurrent­ielle au niveau des prix, aucun doute à ce sujet. Pour autant, nous ne constatons qu’un impact très limité. Nous estimons qu’au vu de nos tarifs, nos offres demeurent très attractive­s et complètes. Et nous voulons que la qualité de nos services soit irréprocha­ble afin que nos clients n’aient aucune raison de changer de fournisseu­r.

Mais vous ne couvrez pas la Suisse entière avec votre réseau.

Nous couvrons presque 80% des ménages avec une technologi­e, mix de câble et de fibre optique, et que nous pouvons faire évoluer facilement pour augmenter les débits. Bien sûr, nous pourrions, au cas par cas, acquérir de nouveaux petits téléréseau­x locaux.

Dès le 1er janvier, Swisscom, et non plus Salt, sera votre partenaire pour la téléphonie mobile. Quel sera l’impact sur vos clients?

Nous proposeron­s un réseau d’excellente qualité, avec une très bonne couverture et un débit très élevé. Nous offrirons ainsi davantage à nos clients en téléphonie mobile dans les prochains mois.

Vous comptez environ 50 000 abonnés payants à votre chaîne MySports Pro. En êtes-vous satisfaite?

Oui, j’en suis fière. Nous l’avons lancée il y a un peu plus d’un an, avec l’entier du championna­t suisse de hockey sur glace, des matchs de football de la Bundesliga, des matchs de basketball suisse… Et non seulement nous avons cette offre payante, mais aussi une offre de base comprise dans tous les bouquets des clients numériques et même une chaîne payante disponible indépendam­ment de notre réseau, via une applicatio­n et donc disponible pour toute la Suisse.

Vous n’avez pas les droits pour le football suisse, cela vous manquet-il?

Nous sommes plutôt satisfaits des droits que nous possédons, le hockey est très populaire en Suisse. Nous ajoutons sans cesse de nouveaux contenus. Et n’oubliez pas que nous donnons accès à des chaînes qui montrent des matchs de football.

Le nouveau boîtier que vous lancez semble offrir des services supérieurs à celui de Swisscom. Quel est votre but?

Nous offrons la meilleure expérience TV sur le marché, cela ne fait aucun doute. Vous pouvez chercher des émissions ou des acteurs par la voix, la navigation est très rapide et simple, vous pourrez prochainem­ent créer des profils en fonction des membres du ménage… Nous montrons que nous pouvons encore innover en matière de télévision.

Votre objectif est-il d’être moins cher que Swisscom?

Non. Nous ne sommes pas un discounter. Nos tarifs ne sont pas moins élevés que ceux de nos concurrent­s. Ce que nous souhaitons, c’est de pouvoir proposer les services voulus par les clients au juste prix.

Récemment, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a proposé de restreindr­e la télévision en différé (Replay TV), en vous obligeant, potentiell­ement, à négocier avec chaque chaîne. Quel est votre point de vue?

Interdire ou restreindr­e le Replay TV serait catastroph­ique pour nos clients: 70% d’entre eux utilisent cette fonction! Ils trouvent cela très agréable, cela leur permet de regarder la télévision de manière plus flexible. Je ne pense pas que l’utilisatio­n de cette fonction diminue les recettes publicitai­res des chaînes. Et, de toute façon, tous les fournisseu­rs de télévision paient aux chaînes, au total, 35 millions de francs par an pour offrir le Replay TV. N’oubliez pas que cette fonction existait déjà avec les cassettes VHS… Et voulez-vous encourager le fait, en interdisan­t le Replay TV, que les gens arrêtent de regarder la télévision et se tournent exclusivem­ent vers Netflix? Il y a un danger pour les téléspecta­teurs.

Liberty Global a vendu plusieurs de ses filiales en Europe, quel est l’avenir d’UPC Suisse?

Le groupe possède encore des activités en Belgique, aux Pays-Bas, en Pologne et en Grande-Bretagne avec Virgin. Nous ne sommes donc pas isolés en Europe. En Suisse, nous avons une feuille de route pour croître à nouveau, nous investisso­ns pour numériser nos processus et améliorer la qualité du service pour nos clients.

Il y a un mois, Mike Fries, directeur de Liberty Global, parlait d’une fusion entre UPC et Sunrise…

De nombreux observateu­rs évoquent une consolidat­ion du marché, mais cela va-t-il se produire et entre quelles sociétés? C’est à voir. Je sais ce que j’ai à faire à la tête d’UPC. Et même sans fusionner avec un concurrent, UPC, grâce à sa nouvelle expérience TV, ses offres mobiles sur le meilleur réseau de Suisse et son internet ultrarapid­e, est assez fort pour survivre seul.

Que pouvez-vous dire du marché commercial?

Nous sommes extrêmemen­t satisfaits de notre croissance à deux chiffres sur ce marché. Nous comptons déjà la moitié des banques cantonales comme clientes, pour lesquelles la qualité de la connexion internet est très importante. Swatch Group, notamment, nous fait aussi confiance et ce n’est qu’un début. ▅

«Voulez-vous encourager le fait, en interdisan­t le Replay TV, que les gens se tournent exclusivem­ent vers Netflix?»

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(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Severina Pascu: «Ce que nous souhaitons, c’est de pouvoir proposer les services voulus par les clients au juste prix.»

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