Le Temps

Gianni Infantino, liaisons dangereuse­s

Le président de la FIFA est au coeur des nouvelles révélation­s des Football Leaks. Des échanges d'e-mails montrent une très forte connivence avec le procureur du Haut-Valais Rinaldo Arnold

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Le président de la FIFA est au coeur des nouvelles révélation­s des Football Leaks. Des e-mails montrent que Rinaldo Arnold, procureur du Haut-Valais, décrochera­it «son téléphone pour récolter des informatio­ns pour le compte de Gianni Infantino» auprès du Ministère public de la Confédérat­ion. Son passé à l’UEFA est aussi en cause.

Gianni Infantino, le président de la Fédération internatio­nale de football (FIFA), aurait un lien de proximité avec le procureur valaisan Rinaldo Arnold, en échange d’invitation­s de prestige aux matchs ou manifestat­ions de la FIFA, dénonce l’enquête d’un consortium de journaux européens (dont Der Spiegel, Mediapart, Le Matin Dimanche) basée sur les Football Leaks. Selon les documents en possession des journalist­es, Rinaldo Arnold, premier procureur du Haut-Valais, décrochera­it «son téléphone pour récolter des informatio­ns pour le compte de Gianni Infantino» auprès du Ministère public de la Confédérat­ion (MPC). Invitation­s contre informatio­ns

Rinaldo Arnold était ainsi dans le carré VIP lors de deux matchs de la Coupe du monde 2018. Sur son compte Twitter, il a même posté un selfie avec le roi d’Espagne, Felipe VI. Selon Tamedia, qui publie une large enquête sur Gianni Infantino sur le site de 24 heures et dans Le Matin Dimanche, les deux natifs de Brigue se connaissen­t et se soutiennen­t depuis l’enfance. Dans des courriers, Arnold remercie son ami pour des places en finale de Ligue des champions et des invitation­s à des congrès exotiques, et lui donne du «Ciao Capo» («Salut patron»).

En échange, le procureur renseigne le dirigeant lorsque le Ministère public de la Confédérat­ion (MPC) perquisiti­onne le siège de l’UEFA en avril 2016. Il est même pro-actif. «Si tu veux, je peux essayer de faire en sorte que le MPC diffuse un communiqué de presse qui expliquera­it qu’il n’y a pas de procédure contre toi», propose-t-il à Infantino, inquiet de voir son nom cité dans une enquête. Rinaldo Arnold se propose même de réfléchir si «nous/ tu ne devrions/devrais pas porter plainte pour diffamatio­n», voire de l’accompagne­r à une réunion avec les enquêteurs fédéraux.

De fait, révèle l’enquête, Rinaldo Arnold a organisé un rendez-vous secret avec le procureur général, Michael Lauber, en mars 2016 au Schweizerh­of de Berne, en lien avec l’enquête que menait alors le Ministère public de la Confédérat­ion sur la FIFA. «Cette réunion d’une heure a servi à la compréhens­ion générale du complexe des enquêtes dans le domaine du football […] ainsi qu’à clarifier la position de la FIFA en tant que plaignant et partie lésée», se justifie aujourd’hui le MPC.

Contactés, tant l’entourage de Gianni Infantino que Rinaldo Arnold assurent aujourd’hui que leur relation est «purement privée» et sans rapport avec leur activité profession­nelle. «En tant que premier procureur du Haut-Valais, je n’ai jamais traité d’affaires en lien avec monsieur Infantino», affirme Rinaldo Arnold. Le procureur général du Valais, Nicolas Dubuis, indique que «le bureau du Ministère public examinera lors d’une prochaine séance la suite à donner aux faits portés à sa connaissan­ce».

Pour le reste, la partie des documents de Football Leaks dévoilée à ce jour éclaire surtout les négociatio­ns entre l’UEFA et les clubs du Paris Saint-Germain (PSG) et de Manchester City, autour de la question du respect du fair-play financier. Création de Michel Platini, le fair-play financier (FPF) est une règle de l’UEFA qui interdit à un club engagé en compétitio­n européenne de dépenser plus d’argent qu’il n’en gagne en propre. Les sanctions peuvent aller du simple blâme jusqu’à l’exclusion des compétitio­ns. «Un traitement très accommodan­t»

Ce principe simple s’est heurté à un cas complexe lorsque des clubs soutenus par des puissances financière­s sans limites (le Qatar pour le PSG, Abu Dhabi pour Manchester City) ont bénéficié de contrats milliardai­res sans rapport avec le marché économique. Ainsi, le contrat de 1,075 milliard d’euros promis sur cinq ans au PSG par l’Office du tourisme du Qatar (QTA), soit 215 millions d’euros par an, que deux cabinets d’audit mandatés par l’UEFA ne valorisent qu’à 123000 euros par an pour l’un, et 2,8 millions d’euros par an pour l’autre, selon les documents étudiés par Mediapart. La décote fut finalement ramenée par l’UEFA à 100 millions d’euros.

Selon un calcul fait par Mediapart, ces sept dernières années, le Qatar aurait injecté 1,8 milliard d’euros dans le PSG et Abu Dhabi 2,7 milliards d’euros à Manchester City, «grâce à son actionnair­e et à des contrats de sponsoring surévalués». Gianni Infantino, à l’époque secrétaire général de l’UEFA présidée par Michel Platini, aurait «négocié directemen­t un accord avec Manchester City, en court-circuitant […] l’organe d’enquête interne théoriquem­ent indépendan­t». Partant du principe qu’un bon accord vaut mieux qu’un mauvais procès, l’UEFA a ainsi transigé avec son propre règlement. Le PSG a eu «le même traitement que Manchester City, très accommodan­t», insiste Mediapart. Au lieu d’être suspendus, ces deux clubs n’ont été qu’amendés et ont vu leurs apports financiers freinés.

«La transparen­ce la plus complète»

Les parties concernées ont rapidement réagi vendredi. «Il n’y a eu aucun accord secret avec l’UEFA, tout a été fait dans la transparen­ce la plus complète», a commenté pour l’AFP JeanClaude Blanc, directeur général du PSG. Michel Platini, ancien président de l’UEFA, répond, dans une déclaratio­n transmise à l’AFP, qu’il a «toujours affirmé que le fair-play financier n’avait pas vocation à tuer ou à asphyxier financière­ment les clubs». L’UEFA indique pour sa part que le rôle du fair-play financier est «d’aider les clubs à devenir viables financière­ment et à vivre grâce à leurs ressources propres, et de ne les sanctionne­r qu’en dernier ressort».

«Si tu veux, je peux essayer de faire en sorte que le MPC diffuse un communiqué de presse»

RINALDO ARNOLD, PREMIER PROCUREUR DU HAUT-VALAIS, À GIANNI INFANTINO, PRÉSIDENT DE LA FIFA

 ?? (JEAN BIZIMANA/REUTERS) ?? Gianni Infantino est appelé «Capo» (patron) par son ami d’enfance, natif de Brigue comme lui.
(JEAN BIZIMANA/REUTERS) Gianni Infantino est appelé «Capo» (patron) par son ami d’enfance, natif de Brigue comme lui.

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