Quelques psychodrames communaux
Querelles d’ego, mésententes, tensions, fuites d’informations et luttes intestines peuvent empoisonner la vie d’un exécutif communal, au point de rendre son fonctionnement difficile ou impossible. Zoom sur quatre crises qui ont agité la presse régionale ces derniers mois
Ogens (VD)
Avec moins de 300 habitants, la petite commune du Gros-de-Vaud n’a pas participé à la fusion qui a absorbé ses voisines dans le nouvel ensemble de Montanaire. Ces derniers mois, elle a connu, selon le mot d’un élu de la région, un «festival de démissions» qui seraient liées à des «conflits entre familles locales».
«Le syndic et la secrétaire démissionnent», titrait le journal La Région Nord vaudois en mars dernier. En cause, «des attitudes [et] un climat de tension qui perdure», écrivait le journal. Qui précisait encore: «En 2006 déjà, les élections communales avaient été le théâtre d’une véritable cabale, organisée dans la plus grande discrétion. Plus récemment, [un] nouvel élu à la Municipalité a eu à affronter un candidat clairement soutenu par les familles «historiques» du village.» Aujourd’hui, ces conflits seraient apaisés et une «très bonne entente» règnerait à la sants, du coup personne n’est fatigué.» L’exécutif de Montanaire n’a connu que deux départs pour raison de santé depuis 2013.
Avec un budget annuel de 13 millions de francs, la commune peut s’offrir des infrastructures dont les villages d’antan pouvaient seulement rêver. Comme le terrain de sport à 2 millions inauguré en 2017. Du coup, l’ambiance dans la municipalité est excellente, assure Claude-Alain Cornu: «On s’entend bien, on a du plaisir à se voir, on fait des sorties à ski ensemble, beaucoup nous envient», explique le syndic. Pression financière
Reste quand même un sérieux souci. Pour appliquer les politiques dictées par le canton, la commune dépense beaucoup et peine à équilibrer son budget. L’accueil continu des enfants à l’école le midi et les devoirs surveillés coûtent 585000 francs aujourd’hui, contre 74000 francs il y a six ans. La contribution de Montanaire au filet social vaudois (la «facture sociale») atteint 1,3 million, 10% du budget.
«On doit freiner certaines dépenses, on a peu de marge, on doit vraiment serrer les boulons partout», se plaint Claude-Alain Cornu. Cette pression financière accélère la course aux fusions, puisque les petites communes reçoivent moins de fonds cantonaux au titre de la péréquation.
Patrice Borcard, le préfet de la Gruyère, voit encore plus grand. Il a proposé de transformer les 25 communes de son district en une seule. commune, selon la syndique Muriel Dauphin.
Hauteville (FR)
A la suite d’une triple démission, celle du syndic, d’une femme membre de l’exécutif et de la secrétaire communale, un administrateur a dû être nommé par le préfet pour reprendre les rênes de cette commune de quelque 650 habitants, située au bord du lac artificiel de Gruyère.
Selon le journal La Gruyère, la préfecture a attribué les démissions à un «climat délétère [et à des] tensions existant entre certains membres du Conseil». Elle précisait encore: «La confiance entre les membres de l’exécutif a tout simplement disparu. Individuellement, tous souhaitaient le bien pour la commune, mais ils n’arrivaient plus à s’entendre. Les relations entre les conseillers se sont érodées au fil du temps et le manque de travail collectif s’est fait de plus en plus ressentir.» Bassins (VD)
Elle aussi frappée par une triple démission, cette commune de quelque 1300 habitants sur la Côte vaudoise n’a plus de municipalité en état de fonctionner, écrivait 24 heures le 26 septembre. Les trois membres partants de l’exécutif ont lu une déclaration au moment de quitter leurs fonctions: «Les rapports entre les membres de «Les missions que les communes sont légalement chargées d’accomplir ne peuvent plus l’être au niveau communal, écrit-il dans un rapport sur son projet de commune unique. Sur les 63 tâches communales, entre les 2/3 et les 3/4 sont assumées à l’extérieur des frontières communales.»
La milice, valeur d’avenir
Faut-il pour autant imaginer des entités géantes, gérées par des administrateurs professionnels qui supplanteraient les miliciens débordés? Non, répondent à l’unisson les syndics et spécialistes interrogés. D’abord parce que diriger une commune de 3000 habitants ou à peu près reste à la portée des miliciens, estime ClaudeAlain Cornu. A condition que ceux-ci aient pu se faire la main dans la gestion de sociétés locales, par exemple.
Les Girons, ces fêtes de jeunesse campagnardes des cantons de Vaud et de Fribourg, «permettent d’entraîner la municipalité se sont détériorés bien au-delà de ce que d’aucuns pourraient imaginer, atteignant un point de non-retour», ont-ils affirmé.
Comme souvent dans ce genre de cas, la forte personnalité du syndic, Didier Lohri, en poste depuis plus de vingt ans, a joué un rôle dans cette crise. «Le syndic a de la poigne, a expliqué le préfet Jean-Pierre Deriaz à 24 heures. Les trois qui s’en vont sont usés à force d’essayer de faire passer leurs idées. Il y a eu des séances de municipalité qui ont duré jusqu’à 1 h du matin et, à la fin, ils ont cédé.»
Saint-Sulpice (VD)
L’an dernier, la riche commune de l’Ouest lausannois a été prise en otage par un conflit entre sa secrétaire communale et un membre de l’exécutif qu’elle accusait de mobbing. Accusation finalement démentie, mais le municipal en question est parti, de même que la secrétaire communale, chacun ayant dans l’intervalle connu plusieurs mois d’arrêt maladie.
Un audit a en outre constaté une gestion inadaptée et obsolète du personnel communal. Le syndic, Alain Clerc, qui a pour l’instant survécu aux turbulences, invoque une surcharge de travail liée au développement et à l’urbanisation de la région: «Nous avons été dépassés par la croissance rapide qu’a connue la commune», a-t-il dit à 24 heures.
▅ les gens à l’instinct civique, estime le syndic vaudois. On a la chance d’avoir 23 sociétés locales sur Montanaire. Si ça se perd, ça va être difficile d’assurer la relève.»
La plus-value de la milice n’est pourtant pas la compétence, mais le fait qu’élus et population font corps. «Ici, vous avez la vision de la base, vous recevez le même bordereau d’impôt que vos concitoyens», rappelle Stéphane Baudat, le syndic de Treycovagnes. L’élu de milice est, selon lui, plus à l’écoute, plus respectueux.
Il illustre son propos par une anecdote. Un jour, il a dû organiser dans l’urgence l’expulsion d’une femme chassée de son domicile par un divorce. Un fonctionnaire se serait sûrement acquitté de sa tâche sans états d’âme. Mais lui a préféré repousser l’échéance, tant cette mission lui pesait. L’expulsion a été ajournée et la femme a fini par quitter sa maison volontairement.
A l’avenir, le défi sera de porter les communes à un niveau suffisamment professionnel, sans perdre ce lien vital avec la population.
«Il y a beaucoup de différences entre les communes suisses, mais leur point commun est que les habitants ont le sentiment que c’est leur commune, conclut le politologue Andreas Ladner. Cela distingue clairement les communes suisses du reste de l’Europe. Ici, on paie son impôt à la commune, qui en retour doit demander l’approbation des citoyens. Cela crée un lien direct avec ce qui se fait. Les habitants sont comme des actionnaires de leur commune.»
▅
La commune devient de plus en plus une chambre d’enregistrement de directives cantonales ou fédérales