Le Temps

La lutte contre la corruption en Argentine passe par la Suisse

- DANIEL ESKENAZI, BUENOS AIRES t @Dan_esk

Dans un procès-fleuve qui vient de s'ouvrir, un vaste réseau répond d'un blanchimen­t de 60 millions de dollars. Plusieurs banques suisses sont citées dans l'acte d'accusation

En Argentine, le «procès de l’année» a démarré la semaine dernière. Pour la première fois, un grand entreprene­ur de la constructi­on lié au clan des anciens présidents Cristina et Nestor Kirchner est assis dans le box des accusés. Lazaro Baez, en prison préventive depuis avril 2016, ses quatre enfants et 20 autres personnes font face à la justice argentine. En cause: le blanchimen­t de 60 millions de dollars et le rapatrieme­nt illégal de deux tiers de cette somme en Argentine, via l’Uruguay, le Panama et la Suisse.

Les banques Lombard Odier, J. Safra Sarasin, ainsi que l’établissem­ent tessinois PKB sont mentionnés dans l’acte d’accusation dont Le Temps a obtenu une copie. «Il a été corroboré que, dès fin 2010, une ingénierie financière avec à sa tête Lazaro Baez a été créée pour le blanchimen­t de millions de dollars […]. Le circuit financier passe notamment par les Etats-Unis et la Suisse, via de multiples sociétés écrans et des comptes bancaires détenus à travers des structures offshore au Panama.» La Suisse a fourni début 2017 des informatio­ns sur trois comptes hébergés par PKB et J. Safra Sarasin

Demande d'extraditio­n d'un résident au Tessin

Dans le procès des 25 accusés il y a un absent. Ce vaste réseau de blanchimen­t aurait été créé avec l’aide d’un avocat résidant au Tessin depuis 2005. Disposant de la double nationalit­é italienne et argentine, Nestor Marcelo Ramos gère Helvetic Services Group (HSG). Selon l’acte d’accusation, HSG a servi de «canal pour accueillir des fonds à l’étranger. […]. Cette entreprise fonctionna­it comme une société écran, une sorte de train en mouvement constant où montaient et descendaie­nt les actifs de différente­s personnes. Celles-ci cherchaien­t à réduire ou à cacher une partie de leur patrimoine. En d’autres termes, Helvetic Services Group a assumé la propriété d’entreprise­s qui ne leur appartenai­ent pas dans le seul but de cacher le véritable propriétai­re.»

La justice argentine demande depuis deux ans l’extraditio­n de Nestor Marcelo Ramos. A trois reprises, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a réclamé aux autorités argentines des complément­s d’informatio­ns, les précédents envois n’étant toujours pas considérés comme suffisants. «Début juillet 2018, l’OFJ a reçu les informatio­ns supplément­aires requises par sa troisième demande de complément. Il est maintenant en train de les examiner», a indiqué vendredi un porte-parole de l’OFJ par e-mail. Malgré plusieurs tentatives, Nestor Marcelo Ramos n’a pas pu être contacté par Le Temps.

«Cahiers de corruption»

Le début du procès a été marqué par les tensions. Tour à tour, les avocats des accusés ont demandé la suspension, voire l’annulation du procès pour vices de procédure, voire non accès à la liste des témoins et des preuves auxquels ils devront faire face. L’enjeu est énorme dans un pays qui occupait en 2017 le 85e rang en matière de corruption, sur 175 nations. La corruption qui a caractéris­é les treize ans de pouvoir successif de Nestor Kirchner (décédé en 2010) et Cristina Kirchner constitue la priorité de la justice argentine depuis plusieurs années.

Mais la pression s’est accentuée avec le scandale des «cahiers de corruption» révélé par le quotidien argentin La Nación en août dernier. Entre 2005 et 2015, le chauffeur de l’ex-ministre de la Planificat­ion a pris des notes de tous ses déplacemen­ts, des sommes d’argent transporté­es qui étaient en fait des pots-devin et des personnes à qui elles étaient destinées. Des montants de plusieurs centaines de millions de dollars sont avancés. Ces documents ont permis l’inculpatio­n de Cristina Kirchner en septembre, ainsi que celle d’anciens ministres et dirigeants d’entreprise.

Lazaro Baez et ses complices présumés sont certes absents de ces cahiers. Au vu de sa proximité avec le clan des Kirchner et de la complexité du système de blanchimen­t mis en place, ce procès n’en constitue pas moins un test pour la justice argentine dans sa lutte contre la corruption. Il devrait durer jusqu’à mi-2019.

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