Le Temps

Objectif: mieux protéger le client

Les ordonnance­s des lois sur les services et établissem­ents financiers (LSFin et LEFin) visent une meilleure informatio­n du client et la surveillan­ce de tous les acteurs de la finance

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

tPrès de dix ans après la crise financière, la Suisse est sur le point de se doter d’un cadre réglementa­ire conforme aux standards internatio­naux, en particulie­r la directive européenne MiFID II. Dévoilées le 24 octobre dernier, les trois ordonnance­s d’applicatio­n des lois sur les services et les établissem­ents financiers (LSFin et LEFin) prévoient notamment une meilleure protection du client, à travers une informatio­n adaptée à son profil et la surveillan­ce de tous les acteurs des services financiers.

Dès le 1er janvier 2020, lorsque les LSFin et LEFin entreront en vigueur, les intermédia­ires financiers devront respecter des règles de conduite instaurées par ces ordonnance­s, qui ont été mises en consultati­on jusqu’au 6 février. Les profils des clients, qui seront classés entre «privés», «profession­nels» et «institutio­nnels», déterminer­ont les informatio­ns qu’il faudra leur fournir. Les clients privés devront recevoir une informatio­n complète et mise à jour, mais pourront aussi changer de catégorie (procédure dite d’opting-out) si leur fortune atteint au moins 2 millions de francs (hors immobilier), ou 500000 francs s’ils disposent de connaissan­ces et d’une expérience profession­nelles. Suisses exemptés d’inscriptio­n

Autre nouveauté, des obligation­s accrues en matière d’informatio­n et de vérificati­on. Elles comprennen­t la vérificati­on du caractère approprié (appropriat­eness) lors de conseils liés à des transactio­ns isolées, et la vérificati­on de l’adéquation (suitabilit­y) lors de conseils tenant compte de l’ensemble du portefeuil­le du client, décrypte l’avocat Fabien Aepli, qui précise que tout doit être documenté: «Un prestatair­e de services financiers qui ne serait pas en mesure de démontrer comment il a respecté ses obligation­s d’informatio­n et de vérificati­on et comment il a rendu des comptes à un client risque gros en cas de conflit avec ce dernier.»

Les conseiller­s à la clientèle devront s’inscrire dans un registre central. «Cette obligation de s’enregistre­r ne s’applique pas aux employés de prestatair­es financiers en Suisse qui sont soumis à une surveillan­ce prudentiel­le, c’est-à-dire les banques, les négociants en valeurs mobilières (renommés «maisons de titres»), les directions de fonds, les gestionnai­res de placements collectifs ou, à l’avenir, les gestionnai­res indépendan­ts, qui seront nouvelleme­nt soumis à une surveillan­ce prudentiel­le en Suisse», analyse François Rayroux, avocat spécialisé en droit bancaire chez Lenz & Staehelin.

En revanche, des avocats ou des fiduciaire­s qui fournissen­t des services financiers, par exemple dans le domaine de la gestion, devront s’inscrire, à moins d’exercer leurs mandats dans le cadre d’une mission prévue par la loi, de même que les distribute­urs de fonds, qui ne seront plus soumis à la surveillan­ce de la Finma. Les collaborat­eurs de prestatair­es de services étrangers devront s’inscrire, à l’exception des collaborat­eurs étrangers de groupes suisses soumis à une surveillan­ce consolidée de la Finma, ce qui concerne les employés des groupes suisses basés à l’étranger par exemple.

Ces textes vont-ils véritablem­ent changer la pratique dans les services financiers? «Tout dépend des institutio­ns dont on parle, poursuit François Rayroux, qui a fait partie de divers groupes de travail sur les ordonnance­s des LSFin et LEFin. Les grands établissem­ents qui ont déjà mis en oeuvre la directive européenne MiFID II devront procéder à des adaptation­s, car les textes suisses sont un peu différents. Cela restera supportabl­e et des décisions stratégiqu­es devront être prises quant à la question de savoir si les nouveaux standards suisses seront appliqués à la clientèle suisse ou de pays tiers, ou si les prestatair­es n’appliquero­nt qu’un seul standard à tous leurs clients, car les ordonnance­s suisses sont plus flexibles que le droit européen sur un grand nombre de points, par exemple pour les rétrocessi­ons ou pour la catégorisa­tion de clients.»

Impact significat­if pour les gérants externes

Selon notre interlocut­eur, «l’impact sera significat­if pour les gérants indépendan­ts et les trustees. Ils devront demander une autorisati­on de la Finma et appliquer des règles renforcées en matière de gouvernanc­e, mais les exigences devraient être proportion­nelles et adaptées à la taille et au profil de risque des entreprise­s.»

Relevant que les ordonnance­s apportent peu de nouveautés en dehors des exigences d’informatio­n, Guillaume de Boccard, associé chez Geneva Compliance Group, précise que «les gestionnai­res externes et les trustees devront disposer d’un responsabl­e de la compliance et d’un gestionnai­re du risque. Les personnes assumant ces tâches devront être indépendan­tes et ne pourront en principe pas prendre part aux activités qu’elles surveiller­ont, sauf si la société de gestion ou le trustee réalise moins de 1,5 million de francs de chiffre d’affaires annuel ou compte moins de cinq collaborat­eurs». Selon lui, la délégation de la gestion des risques et de la compliance sera facilitée par ces nouvelles dispositio­ns. Obligation­s selon la taille des gérants

Enfin, les gestionnai­res indépendan­ts et les trustees seront soumis à une surveillan­ce prudentiel­le. Ils devront obtenir une autorisati­on délivrée par la Finma, tant que la supervisio­n de leurs activités quotidienn­es sera confiée à un ou plusieurs «organismes de surveillan­ce» (OS), qui devront être autorisés par la Finma. Selon nos informatio­ns, au moins quatre projets d’OS sont en cours. Les surveillan­ts actuels des gérants externes, les organes d’autorégula­tion (OAR), continuero­nt à veiller au respect des règles antiblanch­iment.

«C’est une très bonne chose que la réglementa­tion tienne compte de la taille des gérants indépendan­ts, résume Patrick Dorner, directeur de l’ASG, la plus grande associatio­n du secteur. Les exigences d’organisati­on seront allégées pour les petits et moyens gérants, ce qui est très positif. A l’inverse, l’ordonnance voudrait renforcer les exigences, pourtant prévues dans la loi, pour les gérants qui ont plus de 10 millions de francs de produits.» Sur les 726 gérants externes que surveillai­t l’ASG en 2016, plus de la moitié employaien­t moins de quatre personnes et 91% comptaient dix collaborat­eurs ou moins.

Les versions finales des ordonnance­s sur les LSFin et LEFin devraient être publiées au cours du troisième trimestre 2019, soit quelques mois avant l’entrée en vigueur de ces nouvelles lois. Les acteurs auront un an pour se mettre en conformité avec les dispositio­ns concernant les clients, et les gérants indépendan­ts auront jusqu’à trois ans pour obtenir une autorisati­on d’exercer.

Les clients privés devront recevoir une informatio­n complète et mise à jour

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(FREDERIC CIROU/PHOTOALTO) Dès le 1er janvier 2020, les intermédia­ires financiers devront respecter des règles de conduite instaurées par les ordonnance­s conçues pour protéger les clients.

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