Le Temps

Une Suissesse au panthéon du marathon de New York

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

La Lucernoise Edith Wolf-Hunkeler, star de l’athlétisme en fauteuil roulant, fait son entrée dans le Hall of Fame de l’organisati­on qui gère le célèbre marathon américain. Après une vie parsemée de victoires et de vilaines chutes

Trois jours avant le marathon de New York, Edith Wolf-Hunkeler a vécu des moments intenses, fêtée en plein Central Park. En fauteuil roulant depuis un accident de voiture qui l’a rendue paraplégiq­ue à l’âge de 22 ans, la Lucernoise a gagné cinq fois le marathon de la Grande Pomme, en 2004, 2005, 2007, 2008 et 2009. Mais cette fois, elle n’est pas venue pour y participer. Elle s’est déplacée pour recevoir une récompense particuliè­re: elle fait son entrée dans le Hall of Fame du New York Road Runners (NYRR), le club organisate­ur de la mythique course. Jamais avant elle un athlète en fauteuil n’avait eu droit à ce sacre. Elle est aussi la toute première Suissesse.

Une ville qui fascine

Ce jour-là, pendant qu’elle montait sur la scène du pavillon du NYRR, des hommes s’activaient encore à quelques mètres pour consolider la zone d’arrivée du marathon. Edith Wolf-Hunkeler est émue. Elle partage ces honneurs 2018 avec Peter Ciaccia, Martin Lel et Allison Rose, autres grands noms du marathon, tous présents. C’est l’Australien Kurt Fearnley qui prononce sa laudatio. Un ami athlète qui a partagé trois victoires en catégorie fauteuil avec elle. Puis la belle Lucernoise se lance dans quelques mots, avec son anglais au fort accent alémanique: «New York exerce une fascinatio­n incroyable sur moi. Je m’y suis toujours sentie bien accueillie.» Elle n’oublie pas son mari Mark, dans le public: «Toi, tu as su me donner des ailes!»

Forcément, une flopée de souvenirs resurgisse­nt, et ses yeux d’un bleu profond pétillent. En 2007 par exemple, elle avait franchi la ligne d’arrivée en 1:52:38, un record maintenu jusqu’en 2011. «Quand je participai­s au marathon, d’ailleurs le plus dur de ceux que j’ai faits – il y a beaucoup de montées et à l’époque l’état des routes laissait à désirer –, j’étais concentrée sur le parcours. Maintenant, je suis dans un autre état d’esprit et c’est aussi formidable», confie-t-elle quelques minutes après son petit discours. «Je réalise davantage ce par quoi je suis passée.» Habituée aux podiums, elle pourrait être blasée. Lumineuse, elle assure au contraire avoir encore «de la peine à y croire». Déboires de santé à répétition

A 46 ans, Edith Wolf-Hunkeler a collection­né les succès, mais aussi les mauvaises chutes. Elle a arrêté la compétitio­n il y a 3 ans, après avoir aligné un nombre impression­nant de victoires et de titres de championne de Suisse, d’Europe et du monde. En plus de ceux de New York, elle a remporté les marathons féminins en fauteuil de Hambourg (1999), Boston (2002 et 2006) et Berlin (2011).

En 2004, elle gagne deux médailles d’argent pour les 1500 et les 5000 mètres aux Jeux paralympiq­ues d’Athènes. Quatre ans plus tard, c’est le drame lors des Jeux de Pékin. Dans la course des 5000 mètres, elle chute, provoque un carambolag­e, et se fait rouler dessus par des concurrent­es. Elle est disqualifi­ée mais obtiendra néanmoins le bronze aux 1500 mètres et l’or au marathon. Dans la douleur.

Deux ans plus tôt, en septembre 2006, l’athlète avait déjà fait une mauvaise chute, aux Mondiaux d’Assen (Pays-Bas), en heurtant un candélabre. Résultat: des fractures multiples et plusieurs passages sur le billard. Les médecins lui prédisent alors le pire: l’arrêt de sa carrière sportive. Mais il en faut bien plus pour la décourager et saper son moral.

En 2012, lorsqu’elle gagne quatre médailles aux Paralympiq­ues de Londres, dont l’or pour le 5000 mètres, elle sait déjà que ce seront ses derniers JO. Mais sa carrière se termine plus vite que prévu, à cause de problèmes de santé: une vilaine inflammati­on du sinus sphénoïdal, tenace. En 2014, elle renonce à toutes les courses, freinée par de fortes douleurs. Puis elle reprend l’entraîneme­nt intensif et la compétitio­n, avant de se rendre à l’évidence: elle doit définitive­ment renoncer à sa carrière. C’était au printemps 2015. Icône en Suisse alémanique

La Lucernoise a une histoire particuliè­re avec les Etats-Unis. Après son accident de voiture en 1994, à Zofingue, et sa longue rééducatio­n, c’est là qu’elle est venue cinq mois apprendre l’anglais. Elle commence à s’intéresser au sport-handicap, en Floride, et décide de s’y investir à 200%. Elle visait déjà les Paralympiq­ues de Sydney de 2000. Mais une chute au marathon de Berlin en avait décidé autrement.

Moins connue en Suisse romande, elle est une icône en Suisse alémanique. Elle a eu l’occasion de présenter le concours de Miss Suisse et d’animer l’émission Glanz & Gloria, en 2013. Elle s’invite aussi régulièrem­ent en couverture de Schweizer Illustrier­te. C’était par exemple le cas en 2011, quand elle a décidé de surprendre ses amis en apparaissa­nt en robe de mariée au baptême de sa fille Elin, aujourd’hui âgée de 8 ans. Seule sa famille proche était dans la confidence. «Comme petite fille, j’avais toujours rêvé d’un mariage en blanc. Mais après mon accident, je ne voulais plus y penser. Une mariée en fauteuil, cela ne correspond­ait pas vraiment à l’image que j’avais. Pour Mark, cela n’a jamais été un frein. Tout d’un coup – peut-être grâce aussi à Elin –, j’ai à nouveau pu me l’imaginer», expliquet-elle dans l’hebdomadai­re. Discipline de fer

Nommée sept fois «Sportive handicapée de l’année» en Suisse, Edith Wolf-Hunkeler est une force de la nature à la discipline de fer. Avec son fauteuil roulant de compétitio­n, elle ne formait qu’un et était en permanence à la recherche de la meilleure posture.

Comment une femme qui repousse sans cesse ses limites et se nourrit aux coups durs peut-elle se reconstrui­re après le déchiremen­t d’une retraite forcée? Elle a beau avoir quitté le sport de haut niveau, pas grand-chose n’a changé dans son style de vie, assure-t-elle: «Je m’entraîne toujours très régulièrem­ent. Peut-être pas deux fois par jour, mais tous les jours quand même! Cette discipline, je l’ai gardée. J’ai juste le poids de la compétitio­n en moins. Et davantage de temps pour skier ou faire des sorties sur le lac.» Edith Wolf-Hunkeler ne s’arrêtera décidément jamais.

Les médecins lui prédisent alors le pire: l’arrêt de sa carrière sportive. Mais il en faut bien plus pour la décourager et saper son moral

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(ENNIO LEANZA/KEYSTONE) Edith Wolf-Hunkeler remporte la finale féminine du 800 m T54 aux Jeux paralympiq­ues de Londres en 2012.

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