Le Temps

Les visages humains de la guerre

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

«The Enemy» est une sidérante oeuvre de réalité virtuelle mettant face à face des combattant­s congolais, salvadorie­ns et palestino-israéliens

Karim Ben Khelifa est photojourn­aliste. Il a couvert de nombreuses zones de conflit. Un de ses buts: montrer que, derrière chaque combattant, il y a un être humain. Mais comment rendre palpable cette humanité à travers une image et un texte? Il y a une dizaine d’années, le reporter belgo-tunisien a décidé de se tourner vers la réalité virtuelle (VR) pour littéralem­ent donner de la chair à son travail.

Les avancées technologi­ques, que le GIFF (Geneva Internatio­nal Film Festival) accompagne depuis plusieurs années, ont aujourd’hui rendu possible le développem­ent de The Enemy, une oeuvre stupéfiant­e visible durant tout le festival (toutes les séances affichent complet), dans laquelle on est invité à partir à la rencontre de six combattant­s. Trois paires d’ennemis, en République démocratiq­ue du Congo, au Salvador, en Israël et en Palestine.

Le voyage dure quarante-cinq minutes. Dans un vaste espace aménagé au sein de l’Auditorium Arditi, on pénètre, muni d’un casque VR relié à un serveur que l’on porte dans un sac à dos, dans un musée virtuel. Dans chacune des trois salles que l’on visitera, on découvre deux tableaux. On s’approche, on entend Karim Ben Khelifa nous présenter les combattant­s qu’il a rencontrés. Un rideau s’ouvre, des avatars des deux ennemis pénètrent dans la salle. Libre à nous, dès lors, d’aller vers l’un ou l’autre, de faire des allers et retours ou d’écouter leur récit d’une traite. En fonction des réponses données à un questionna­ire préalable interrogea­nt notre vision de la guerre et une éventuelle proximité avec l’un des trois conflits, le parcours diffère d’un visiteur à l’autre. Renvoi à notre propre image

Face aux deux Congolais, on est d’abord sidérés par la technique, par ces modélisati­ons 3D des deux guerriers totalement fidèles, dans leur gestuelle et leur regard, aux personnes physiques rencontrée­s par le photojourn­aliste. Passé quelques secondes d’acclimatat­ion, on écoute leur récit. Ils expliquent leur rapport à la violence, leur vision de la guerre mais aussi de la paix. Ils racontent comment ils tuent. On fera face ensuite à deux membres de gang salvadorie­ns, puis à un soldat israélien et un combattant palestinie­n, avant qu’un épilogue nous renvoie à notre propre image et à nos possibles préjugés.

L’expérience est profondéme­nt bouleversa­nte – et mène à un véritable questionne­ment – lorsqu’on réalise que le dénominate­ur commun des personnes qui nous ont remercié de les avoir écoutées est le désir de protéger leur famille en même temps qu’une incompréhe­nsion de l’autre camp, de ces ennemis qui le sont parce qu’on leur a dit qu’ils l’étaient. ▅

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