Le Temps

La Nouvelle-Calédonie choisit la France

56,4% de non contre 43,6% de oui. L’écart est moins important que prévu. La Nouvelle-Calédonie a fait le choix par référendum de rester dans le giron français. Toutes les communauté­s doivent maintenant se réinventer un avenir

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

L’indépendan­ce de la Nouvelle-Calédonie a été rejetée en référendum par 56,4% des suffrages. Après une consultati­on exemplaire, le territoire du Pacifique restera français. Mais les communauté­s en présence doivent maintenant se réinventer un avenir

tLa Nouvelle-Calédonie ne deviendra pas indépendan­te en 2018. La «pleine souveraine­té» a été rejetée dimanche par 56,4% des votants (contre 70% annoncés par les sondages). La bonne nouvelle de ce référendum, organisé sur une terre où la violence a souvent déferlé, est la forte participat­ion de toutes les communauté­s – 80,6% – alors que les Kanak avaient boycotté, en 1987 (au plus fort des violences), une précédente consultati­on sur le maintien ou non dans la République française.

Ce rejet de l’indépendan­ce était attendu. Les Kanak, population autochtone du territoire, ne représente­nt que 40% de ses habitants et environ 45% du corps électoral spécifique pour ce référendum (il fallait, entre autres, prouver plus de vingt ans de résidence). Les grands foyers de peuplement sont en outre tous au sud de la Grande Terre, cette province contrôlée par les population­s «caldoches» – soit les Blancs descendant des anciens colonisate­urs – auxquels sont venus s’ajouter les rapatriés d’Algérie et les Blancs venus de métropole.

Rester prudent

Le niveau du non est toutefois en deçà des espérances des anti-indépendan­tistes. Ce qui pourrait inciter leurs adversaire­s Kanak à revenir à la charge. Les Accords de Matignon signés en 1988, et ceux de Nouméa signés en 1998, prévoient l’organisati­on possible de deux autres référendum­s en cas de victoire du non à cette consultati­on organisée dimanche, à la demande d’un tiers des membres du Congrès territoria­l (25 élus indépendan­tistes sur 54). En cas de résultat identique, un troisième peut être organisé dans les deux ans suivants.

Pour les anti-indépendan­tistes, la victoire devra dès lors être consommée avec prudence. Les tensions peuvent toujours être réveillées sur ce territoire où une partition de fait existe entre la province Sud – son poumon économique et commercial autour de Nouméa et des grandes exploitati­ons agricoles de la côte Ouest –, et la province Nord aux mains des indépendan­tistes kanak, dont le sort économique dépend largement de la mine de nickel de Koniambo, exploitée par le groupe anglo-suisse Glencore. Une décentrali­sation accrue paraît donc inévitable, et tout l’enjeu politique des prochains mois sera de déterminer si les leaders kanak, pour la plupart issus de la génération indépendan­tiste des années 80, voudront ou pas retourner aux urnes.

Le premier ministre français, Edouard Philippe, arrivé sur place dimanche soir après un voyage officiel au Vietnam, devra prononcer des paroles de rassemblem­ent. La même exigence s’impose à Emmanuel Macron.

Le président français avait déclaré en mai que la «France ne serait pas la même sans la Nouvelle-Calédonie», sans se risquer à défendre son maintien dans la République. Il a affirmé dimanche sa «fierté» que «la majorité des Calédonien­s ait choisi la France», avant d’expliquer: «C’est pour nous une marque de confiance dans la République française, dans son avenir, dans ses valeurs.»

Point important: un gros effort diplomatiq­ue a été mis en oeuvre par Paris pour que les résultats de ce référendum soient acceptés par les pays du Pacifique, invités à envoyer des observateu­rs. La constituti­on de la liste électorale spéciale, conçue pour écarter les nouveaux arrivants, avait fait l’objet d’âpres négociatio­ns sur ce territoire peuplé d’environ 300000 habitants. La Nouvelle-Calédonie est toujours considérée par l’ONU comme l’un des 17 territoire­s non décolonisé­s que compte encore la planète. La Suisse est représenté­e sur place par un consul honoraire.

Une position stratégiqu­e

L’une des questions cruciales pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie est sa position stratégiqu­e, aux côtés de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, face à la poussée chinoise dans cette partie de l’Océanie. Au Vanuatu voisin, l’ex-colonie franco-britanniqu­e des Nouvelles-Hébrides devenue indépendan­te en 1980, l’influence de la Chine se fait de plus en plus sentir et des rumeurs persistant­es évoquent la prochaine installati­on d’une base militaire chinoise dans l’archipel.

Comment vivre ensemble après ce rejet de l’indépendan­ce moins massif que prévu? Comment accorder aux Kanak le rôle politique qu’ils méritent dans une île qui a toujours attiré l’immigratio­n économique, compte tenu de la richesse de son sous-sol et de son niveau de vie, l’un des plus élevés des territoire­s français d’outre-mer? C’est aussi la relation entre la France et ses lointaines possession­s héritées de son empire colonial qui était posée dimanche. Une question qui, même après le rejet de l’indépendan­ce par les électeurs de Nouvelle-Calédonie, va continuer de se poser.

Plus que jamais, la notion de «territoire d’outre-mer» impose d’être redéfinie, pour rompre définitive­ment avec l’héritage de la colonisati­on. Comment, par exemple, assurer une meilleure redistribu­tion économique dans un archipel verrouillé par quelques dizaines de familles arc-boutées sur leurs intérêts? Comment éviter l’exclusion dans un territoire où les prix sont équivalent­s à ceux de la Suisse, alors que de nombreux Etats océaniens comptent parmi les plus pauvres du monde? Comment lutter contre l’accroissem­ent des inégalités sociales et des frustratio­ns, à l’origine de l’augmentati­on de plus en plus préoccupan­te de la criminalit­é, alors que le taux de chômage des moins de 30 ans dépasse les 30%?

Après ce rejet de l’indépendan­ce qui n’est pas un aboutissem­ent, la Nouvelle-Calédonie se trouve devant une obligation politique de taille: se réinventer, et réinventer sa relation avec la France.

«C’est pour nous une marque de confiance dans la République française»

EMMANUEL MACRON

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(THEO ROUBY/AFP) 56,4% des votants se sont opposés à l’indépendan­ce du territoire, contre 70% annoncés par les sondages.

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