Le Temps

Médine, il est du Havre comme moi

- VINCENT CHESNEAU CRÉATEUR DE LIENS

Je vous lis depuis vingt et un ans, avec le plaisir de lire de l’informatio­n libre des pressions politiques, décomplexé­e et neutre. Et puis patatras, tout s’effondre ce vendredi avec la chronique de Mme Miauton consacrée au rappeur Médine (LT du 26 octobre). Je ne la lis pas d’habitude car je ne comprends pas en quoi ses écrits aident à faire un monde plus beau, un monde riche, plus fraternel. Mais là, j’ai lu car la chronique parlait de Médine. Et Médine, il est du Havre comme moi. Ce n’est pas souvent qu’on parle du Havre. Alors quand un enfant de là-bas s’en sort, grâce au foot, à la musique, au show-biz ou à la politique, je lis et cela me fait plaisir. Sauf que là, très rapidement, cela ne m’a pas plu et surtout j’ai tout de suite trouvé que cela sentait le soufre.

Mme Miauton ne se trompait pas, elle n’était pas mal informée, elle mentait ouvertemen­t, elle tombait dans l’amalgame, le populisme. Alors j’ai demandé à mon fils, juste avant qu’il n’aille à un concert à Lausanne: «T’en penses quoi, toi, de cet article?» Mon fils, il n’est pas comme moi. Il est posé. Il m’a dit: «C’est curieux de reprocher à quelqu’un son prénom, d’une part car il ne l’a pas choisi, d’autre part parce que lui-même le transforme en DéMine.» Médine se sent comme un démineur de problèmes sociaux.

Ensuite, c’est dans le paragraphe 3, il faut savoir que la référence à laPanthère vient d’un de ses surnoms, «Arabian Panther» qui trace unparallèl­e avec les Black Panthers. Qui aujourd’hui soutiendra­it que la cause des Black Panthers était incongrue? Dans ce même paragraphe, une longue citation de paroles, qui ne sont pas celles de Médine mais de deux autres rappeurs, Sofiane et Lartiste (que Médine a conviés à chanter sur un de ses disques, d’où certaineme­nt la confusion), sont mises à la suite alors qu’il n’en est rien dans la chanson. Les paroles sont librement interprété­es et sorties de leur contexte.

Dans le paragraphe 4, c’est plus embêtant, Mme Miauton n’est plus dans l’interpréta­tion mais dans le mensonge. Le concert du Bataclan (en hommage aux victimes) n’a pas été interdit mais annulé par Médine devant les réactions et pressions violentes de l’extrême droite comme celles des islamistes radicaux d’ailleurs. Toujours paragraphe 4, nouvelle citation, à nouveau hors contexte. Difficile à comprendre en effet si l’on ne sait pas que «Maître Kanter» n’est pas une référence à un honnête brasseur mais à une taverne repaire de l’extrême droite; que la laïcité française prônée par cette droite n’est pas forcément tolérante, elle bouffe du curé et de l’imam à chaque repas et ignore totalement ce qu’est le judaïsme; qu’enfin la référence aux Femen vise une polémique impliquant un timbre sur lequel Marianne portait les traits d’Inna Shevchenko, cheffe de file de leur mouvement. Médine ne comprend pas qu’on puisse combiner la liberté que représente Marianne avec l’intoléranc­e à la spirituali­té et aux religions (toutes religions confondues) des Femen.Et Médine dans tout ça? Il dit quoi, lui? Ah oui, il a eu une fille. Et là, c’est Médine qui a choisi le prénom: elle s’appelle Mekka. Ça veut dire «La Mecque». La Mecque, c’est quoi déjà? La ville dont les enseigneme­nts du Coran sont empreints de bienveilla­nce. Ah oui, j’ai lu ça quelque part, il me semble. Mme Miauton semble ignorer l’histoire de l’Europe et elle ignore tout du développem­ent du Havre, la ville de Médine. Ce port, cette ville ont été créés de toutes pièces en 1517 sur des marais par François Ier. Dès le départ, la ville est peuplée par des migrants venus de toutes les régions pauvres de l’Europe (dont la Suisse, longtemps une terre d’émigration).

Avec le capitalism­e s’est mise en place une réelle exploitati­on des masses avec un système très sophistiqu­é d’accapareme­nt des revenus des ouvriers du port par la distributi­on des places de travail et des salaires (sous forme de jetons!) à faire valoir dans les bistrots tenus, bien sûr, par les employeurs (pour plus d’informatio­ns, se référer au procès de l’ouvrier Jules Durand). Lors de la reconstruc­tion des années d’après-guerre sont venus en nombre les Bretons, les Portugais, les Nord-Africains puis les Africains, qui ont à nouveau enrichi la ville de leur diversité.

Cette reconstruc­tion a permis un assainisse­ment des bas quartiers et le développem­ent de banlieues sans âmes et non reliées par les transports en commun au centre-ville et à la mer. A la fin des années 1970 la municipali­té communiste créera les «Eté Bus»: de vieux bus peints en orange menant à la mer pour 50 centimes. Les habitants des quartiers suburbains n’avaient jamais vu la mer! Digne descendant de Jules Durant, c’est contre cet abandon, cette relégation, que Médine se bat, et non pas contre la douce France de Charles Trenet, que ni l’un ni l’autre n’ont connue.

C’est curieux de reprocher à quelqu’un son prénom, d’une part car il ne l’a pas choisi, d’autre part parce que lui-même le transforme en «DéMine»

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