Une initiative qui menace les «chiens de garde de la démocratie»
Qui a dit que les journalistes exerçaient «une mission de «chiens de garde de la démocratie»? La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt Goodwin, du 27 mars 1996 notamment). C'est cette cour que veut mettre au pas l'initiative pour l'autodétermination, dite initiative contre les juges étrangers sur laquelle nous allons voter le 25 novembre 2018.
On sait que l'initiative, qui consacre une primauté générale du droit national sur le droit international, est un grand danger pour les droits humains. Parmi ces droits, figure en bonne place la liberté d'information, garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et les articles 16 et 17 de la Constitution fédérale. Les contours et les bases de cette liberté se fondent sur la Convention européenne. Ainsi, la Cour européenne a jugé que la protection des sources est «l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse» (toujours arrêt Goodwin). La Convention européenne définissant les contours des libertés devient partie intégrante du droit interne. Des juges suisses n'hésitent pas à juger directement sur cette base, comme le montre la perquisition prononcée par le Ministère public neuchâtelois dans l'affaire Ludovic Rocchi et qui s'est conclue en faveur de l'information publiée par le journaliste (jugement du 22 mai 2014 du Tribunal neuchâtelois des mesures de contrainte). Il en va de même du Tribunal fédéral, qui reprend la jurisprudence de la Cour européenne et tranche en faveur des journalistes sans que ces derniers doivent saisir cette cour.
Un certain nombre de décisions de la Cour européenne ont donné raison en Suisse aux journalistes, titres et diffuseurs renforçant par là la liberté d'information. En 2006, par exemple, la CEDH a corrigé le Tribunal fédéral au sujet d'un reportage de Temps présent sur le rôle de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale (L’honneur perdu de la Suisse), diffusé en 1997 (arrêt Monnat, du 21 septembre 2006). En pleine crise des fonds en déshérence, cette enquête brisait le mythe d'une Suisse résistant à l'Allemagne. L'autorité de plainte avait condamné l'émission. Mais la Cour européenne a relevé que «dans le contexte du débat sur un sujet d'intérêt général majeur, pareille sanction risque de dissuader les journalistes de contribuer à la discussion publique de questions qui intéressent la vie de la collectivité. Par là même, elle est de nature à entraver les médias dans l'accomplissement de leur tâche d'information et de contrôle.»
La Cour européenne est donc une garantie supplémentaire pour les droits de l'homme car des excès d'appréciation existent aussi dans un pays comme la Suisse. Elle est souvent saisie; notons encore le récent recours à la Cour européenne, contre un arrêt du Tribunal fédéral du 15 février 2018, interjeté par la RTS dans l'affaire du reportage de Temps présent dans le cas Giroud. Pour assurer l'exercice de leur liberté d'information, tous les Suisses profitent de la CEDH. Et dans le travail quotidien des journalistes, il est fondamental qu'ils sachent qu'à Strasbourg une cour de justice veille et garantit l'application de la liberté d'information, donnant l'oxygène nécessaire à l'exercice de cette fonction si importante pour la société démocratique.
Cette initiative ne doit pas passer. Elle représente un danger pour la liberté d'information et pour les «chiens de garde de la démocratie».
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Les contours et les bases de la liberté d’information se fondent sur la Convention européenne