Chievo Vérone, le miracle permanent
Le Chievo ferme la marche au classement de Serie A mais ne panique pas: chaque année, les observateurs lui promettent une relégation certaine, et ce petit club familial a néanmoins disputé 18 de ses 19 dernières saisons en première division
Agé de 39 ans, le meneur du Chievo, Sergio Pellissier (à gauche), a marqué le mois dernier un but contre Milan, le 109e de sa carrière sous les couleurs «gialloblu» en Serie A.
«C’était un terrain de fortune, les ballons finissaient souvent dans le fleuve» CLAUDIO (60 ANS), SUPPORTER
Durant les six journées de la phase de poule de la Ligue des champions, «Le Temps» délaisse les grandes soirées européennes et s’intéresse aux plus petits clubs des six principaux championnats européens.
A en croire les habitants du coin, le panneau à l’entrée de la ville a déjà été remplacé plusieurs fois ces dernières années. La mention «Frazione di Verona» («commune de Vérone») figurant entre parenthèses en dessous de Chievo est régulièrement rayée à coups de pinceau. Une façon de rappeler qu’avant d’être englobé par la ville de Roméo & Juliette, ce quartier fut totalement indépendant jusqu’en 1923.
On n’y recense même pas 5000 habitants, qui s’éparpillent depuis toujours autour de l’église Sant’Antonio et plus récemment du Bottagisio Center. Inauguré en 2014, ce centre d’excellence sportive accueille les jeunes pousses du club de foot local (mais pas seulement: on peut y pratiquer l’aviron et aussi l’escrime). C’est ici, sur la presqu’île bordée par le fleuve Adige d’un côté et le canal Camuzzoni de l’autre, que l’Associazione Calcio ChievoVerona vit le jour en 1929.
Le bar adjacent est devenu le rendez-vous des supporters les plus âgés. Parmi eux, Claudio, la soixantaine, feuillette la Gazzetta dello Sport et témoigne: «L’équipe disputait ses matchs ici quand elle évoluait encore dans les divisions les plus basses. C’était un terrain de fortune, les ballons finissaient souvent dans le fleuve.» Un décor pittoresque et conforme au niveau de jeu d’une formation qui n’a découvert le professionnalisme qu’en 1986, soit un an après l’historique titre de champion d’Italie du Hellas Vérone, le club phare de la ville. Histoires indissociables
Claudio joue la carte de la franchise: «Pendant longtemps, les clivensi [habitants de Chievo] naissaient supporters du Hellas. J’ai moi-même pris les deux abonnements cette saison. Cela vaut le coup, car les deux équipes jouent au stade Bentegodi alternativement un week-end sur deux…» De l’autre côté de la rive, avec le caractéristique pont-barrage en toile de fond, un drapeau jaune et bleu pendille le long d’un balcon: «Les couleurs sont identiques et cela prête à confusion, mais ne vous méprenez pas, c’est la maison de Beppino, un ami qui est resté fidèle au Hellas», conclut notre interlocuteur en basculant la dernière gorgée de son spritz.
L’histoire des deux clubs est décidément indissociable. Pour rejoindre les footballeurs professionnels du Chievo, il faut remonter dans son véhicule, passer devant la villa du président et rouler une bonne vingtaine de kilomètres vers l’est. Direction le lac de Garde et les contreforts de la Valpolicella, où l’Hôtel Veronello a été érigé dans les années 1960… pour le Hellas, qui a depuis déménagé en ville. A l’origine de cette construction, l’ancien président Saverio Garonzi, dont le neveu Bruno a été président du Chievo de 1986 à 1990. A cette époque, Marco Pacione menait l’attaque du Hellas et applaudissait, comme ses coéquipiers et même leurs supporters, l’essor d’un autre club local. Il ne se doutait pas qu’il en deviendrait le team manager en 1995, un poste qu’il occupe aujourd’hui encore.
Parka sur le dos, il fait faire le tour du propriétaire tout en narrant les moments clés de l’histoire du club: «Pour la première promotion en Serie B en 1994, à Carrare, il y eut un exode de 2000 supporters. Cela ne pouvait pas être seulement ceux qui suivaient le Chievo vu que l’affluence n’atteignait pas les 1000 spectateurs.» C’est l’époque des premiers derbys et d’un insoupçonnable inversement de tendance. «Au début, il n’y avait pas cette rivalité, cette méfiance, c’était bon enfant. J’ai vu le regard des tifosis du Hellas changer au fil des années.» Leur club souffre. En 2008, il doit passer par un barrage pour éviter une historique relégation en quatrième division. Aujourd’hui, il évolue en Serie B. Pendant ce temps-là, le «petit» Chievo s’est installé en Serie A. Il y a disputé 18 des 19 dernières saisons.
Sergio Pellissier n’a manqué que la première. Agé de 39 ans, le capitaine a de bons restes, comme en atteste son but contre Milan le mois dernier, le 109e de sa carrière sous les couleurs gialloblu en Serie A. L’entraînement terminé, il commande un plat de tagliatelles à la pulpe de crabe et déroule entre deux bouchées: «Se sauver n’est plus un miracle, c’est un objectif concret, nos supporters espèrent toujours qu’on fasse mieux. Or, il ne faut pas oublier qu’on recommence à zéro chaque année.»
Son rôle est fondamental pour mettre ses coéquipiers dans le bain: «Je n’explique pas aux nouveaux où ils arrivent, je montre l’exemple par les actes. Il n’y a pas de divas ici. Si certains ne s’en rendent pas compte, on le leur explique, mais beaucoup comprennent tout seuls.»
Pendant longtemps, le Chievo possédait l’effectif le plus vieux et le plus stable de Serie A. C’est un peu moins le cas cette saison, et l’équipe est bonne dernière du classement. Après onze journées, elle affichait même un anxiogène -1 point au compteur, suite à une pénalité de trois points dans le cadre d’une sombre affaire de plus-values fictives sur des transferts de joueurs. De quoi nourrir l’esprit de corps: «Il est possible qu’on ne veuille plus de nous en Serie A, car on rapporte moins d’argent, glisse Sergio Pellissier. Notre force a aussi été de ne jamais penser pouvoir compter sur les autres.»
A l’heure de ses premiers succès, le Chievo était regardé avec bienveillance par les amateurs de football. Mais peu à peu, l’effet conte de fées s’est estompé et nombreux sont ceux qui désirent voir le Chievo descendre afin de laisser place à un club plus suivi ou renommé.
Il y a dix ans, les «Gialloblu» ont atteint leur apogée avec une participation aux phases préliminaires de la Ligue des champions grâce à un classement corrigé suite au scandale du Calciopoli. Marco Pacione rembobine: «Ça reste paradoxalement notre plus grand regret. Quand on a tiré le Levski Sofia en barrages, on a tous exulté. On perd 2-0 là-bas, où on nous annule un but valable, et on fait 2-2 à la maison. Le Levski a ensuite affronté le Barca, Chelsea et le Werder… Une qualification, ça aurait pu être quelque chose d’extraordinaire.»
«Pas de divas»
Dans la foulée, le Chievo est retombé en Serie B, mais il est parvenu à remonter immédiatement, avant de retrouver une dimension plus modeste. Des années charnières pour sa progression, estime Marco Pacione. «Notamment au niveau du développement de la marque, mais sans exagérer, car il faut être capable de suivre les initiatives. On a près de 50 clubs affiliés, or il faut une structure adéquate. Il nous est arrivé d’aller au-delà de nos capacités. Parfois, il nous a fallu mobiliser 24 minibus avec chauffeurs pour nos jeunes.»
Une anecdote qui fait sourire dans un monde croulant sous les millions d’euros, mais qui rappelle la réalité d’un club de cette envergure. Depuis cinquante ans, le Chievo peut néanmoins compter sur la solidité finan- cière de Paluani, une entreprise qui défourne des gâteaux – dont le fameux pandoro, le panettone local – depuis bientôt un siècle. Supporters hors pair
Le président Luca Campedelli est un personnage singulier, presque lunaire: «S’il pouvait, il n’apparaîtrait jamais en public», assure son fidèle Marco Pacione, qui regrette le bon vieux temps: «Celui où on se réunissait à six ou sept tous les mardis pour faire le point. Les messages étaient directs, il y avait plus d’immédiateté dans l’exécution des tâches, on se disait tout et on savait tout. Maintenant on est 40 dans l’organisation…»
Les supporters aussi sont plus nombreux. Neuf mille abonnés cette saison. Les ultras, pacifistes, ont investi et retapé une partie du Fort Chievo, héritage de l’occupation de l’Empire austro-hongrois avant l’Unité italienne au milieu du XIXe siècle. Un repaire bucolique qui renforce le sentiment d’intimité. D’ailleurs, plusieurs anciens joueurs figurent dans l’organigramme du Chievo, tel le Brésilien Luciano, directeur sportif des jeunes: «On utilise souvent le terme famille pour décrire l’environnement d’un club mais ici c’est vraiment le cas. Les supporters sont de bonnes personnes, ils donnent un coup de main. Ils sont peu, c’est vrai, mais je ne les échangerais pas.»
Ni même contre ceux de l’autre bord, réputés comme étant parmi les plus chauds d’Italie et qui, lors d’un derby de Serie B il y a vingt ans, déroulèrent une banderole en patois entrée depuis dans l’histoire: «Quand le Chievo sera en Serie A, les ânes voleront.» Il faut donc croire qu’à Vérone, les ânes volent.
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