Le Temps

Le savoir-faire helvétique en matière d’avalanches inscrit au patrimoine de l’Unesco

Les coulées de neige ont obligé les habitants des régions alpines à s’adapter depuis de nombreux siècles. Les méthodes utilisées pour gérer ce danger, qui ne cessent de s’améliorer technologi­quement, viennent de faire leur entrée au patrimoine immatériel

- GRÉGOIRE BAUR @GregBaur

Les chiens d'avalanche, dont les mythiques Saint-Bernard, ou les ouvrages paravalanc­hes, qui marquent le territoire alpin, sont certes les symboles les plus connus de la gestion du danger blanc, mais ne sont que la pointe de l'iceberg. Les multiples mesures mises en oeuvre, en Suisse et en Autriche, pour évaluer le risque, protéger la population ou secourir les victimes des coulées de neige ont été inscrites au patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Réuni jusqu'à samedi à l'île Maurice, le Comité intergouve­rnemental compétent de l'Unesco s'est prononcé ce jeudi.

«La gestion du danger d'avalanches a commencé dès l'établissem­ent de population­s dans les Alpes, explique Julien Vuillemier, collaborat­eur scientifiq­ue auprès de l'Office fédéral de la culture, qui pilote la candidatur­e. A partir du XVe siècle, les savoirs empiriques locaux ont permis d'améliorer l'emplacemen­t des constructi­ons et de développer des systèmes collectifs de prévision d'avalanches, basés sur les réseaux de solidarité.»

Ces savoirs ancestraux ont été consignés puis transmis de génération en génération, devenant toujours plus perfection­nés. «C'est au cours du XXe siècle que la gestion du danger s'est profession­nalisée, en misant sur la recherche scientifiq­ue, le développem­ent des prévisions ou la constructi­on d'ouvrages paravalanc­hes», souligne Julien Vuillemier.

«Un métier de l’artisanat»

Ces évolutions ont permis de réduire drastiquem­ent le nombre de victimes d'avalanches situées dans des bâtiments ou sur les voies de communicat­ion. «Lors des vingt dernières années, moins de dix personnes sont décédées dans des infrastruc­tures en Suisse», précise Pierre Huguenin, responsabl­e de l'antenne sédunoise de l'Institut pour l'étude de la neige et des avalanches (SLF), alors que la mort blanche frappe en moyenne 23 fois par année.

L'inscriptio­n de la gestion du danger d'avalanches au patrimoine culturel immatériel de l'humanité est une belle reconnaiss­ance pour toutes les personnes qui travaillen­t dans l'ombre, dans les communes ou au sein des sociétés de remontées mécaniques, et qui ne comptent pas leurs heures pour assurer la sécurité. «Ce sont ces personnes qui sont le plus sous pression, tout le temps sur la brèche durant la période hivernale», souligne Pierre Huguenin. Ces acteurs locaux, «qui ont un vrai savoir des gens de montagne», intervienn­ent dans la phase de prévention. Leur rôle consiste à diminuer le risque d'avalanches, à déclencher artificiel­lement des coulées pour empêcher que de grosses quantités de neige s'accumulent. «Le dernier hiver est un très bon exemple, ajoute Pierre Huguenin. Les tirs préventifs ont été nombreux. Malgré les grandes quantités de neige tombées en janvier, il n'y a pas eu d'événements catastroph­iques.»

Dans une situation quasiment similaire fin février 1999, deux avalanches avaient ravagé la région d'Evolène (VS), faisant 12 morts. Cela démontre la permanente évolution de la gestion du danger. «C'est un métier de l'artisanat, il évolue en fonction des problèmes rencontrés et des progrès technologi­ques.»

Si les observatio­ns humaines sont toujours utilisées pour analyser le manteau neigeux, les drones ou les satellites viennent désormais les seconder. Ils permettent également de documenter, avec précision, l'ensemble des avalanches qui se sont décrochées durant l'hiver. «Cette traçabilit­é historique est nécessaire, car la mémoire de l'être humain est courte. Certains événements ne se produisent que tous les 100 ou 150 ans», détaille Pierre Huguenin.

Moins d’accidents mortels grâce à l’auto-sauvetage

Les évolutions technologi­ques se retrouvent à tous les échelons de la gestion du danger d'avalanche. Elles ont fait de quasiment tous les adeptes de la montagne un maillon indispensa­ble de la chaîne. Aujourd'hui, les randonneur­s à ski ou les adeptes de freeride, équipés de détecteurs de victimes d'avalanches (DVA), de sondes et de pelles, sont souvent les premiers secouriste­s sur les lieux d'une coulée. «Les accidents mortels en terrain non sécurisé sont en diminution en comparaiso­n du nombre de pratiquant­s, qui a doublé en vingt ans. Cette baisse est notamment due à l'auto-sauvetage», insiste Pierre Mathey, secrétaire général de l'Associatio­n suisse des guides de montagne (ASGM).

Mais pour être utile en situation de catastroph­e, il faut être formé à l'utilisatio­n de ce matériel. Depuis plusieurs années, des formations spéciales sont dispensées par l'ASGM ou le Club alpin suisse (CAS). «L'intérêt pour ce genre de cours ne cesse de grandir», se réjouit Pierre Mathey, qui souhaitera­it également les développer pour la pratique estivale de la montagne.

Les participan­ts appréhende­nt également durant ces cours les nombreuses offres d'aide digitale, qui voient le jour. «Nous passons actuelleme­nt du téléfax à l'e-mail», illustre Pierre Mathey. Les nouvelles technologi­es multiplien­t l'offre d'outils dans la gestion du risque. Le site skitoureng­uru.ch, par exemple, couple le bulletin d'avalanches, préparé deux fois par jour par le SLF, à sa carte d'itinéraire­s interactiv­e. Cela permet de connaître les conditions de la course programmée quasiment en temps réel.

Autre exemple: l'applicatio­n White Risk réunit les conditions météorolog­iques, nivologiqu­es et les bulletins d'avalanches du SLF. Elle réalise également des projection­s de coulées de neige selon la pente et l'exposition du tracé que l'on compte emprunter, ce qui permet d'adapter les courses.

Ce sont deux exemples parmi d'autres d'aide à la gestion du risque et à la prise de décision. Mais ces outils ne remplacero­nt jamais l'observatio­n et la prise de décision sur le terrain, prévient le guide: «Il faut garder une bonne proportion entre l'aide digitale et le bon sens sur le terrain. On se rend compte que la neige est froide en y plongeant la main et pas en regardant l'écran d'un smartphone.»

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«Il faut garder une bonne proportion entre l’aide digitale et le bon sens sur le terrain» PIERRE MATHEY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ASSOCIATIO­N SUISSE DES GUIDES DE MONTAGNE

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(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) Une avalanche déclenchée artificiel­lement empêche de grosses quantités de neige de s’accumuler.

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