Pour en finir avec les violences qui gangrènent le football amateur
Alarmées par deux cas récents de violences graves et inquiètes des tensions croissantes autour du terrain, les parties prenantes du football genevois ont lancé des états généraux. Une grande première en Suisse
C’était un soir de PSG-Liverpool à la télé mais pour une centaine de passionnés de football genevois, l’événement était ailleurs. Pour une fois, il y avait plus important que la Ligue des champions. Joueurs, entraîneurs, dirigeants ou arbitres ont répondu à l’invitation du Département de la cohésion sociale du canton de Genève qui, en collaboration avec le Département de la culture et du sport de la ville de Genève, organisait des états généraux du sport sur la violence dans le football amateur. Une première en Suisse.
Le football genevois reste marqué par deux cas de violences particulièrement graves. Le 10 juin, la finale du championnat de 4e ligue entre Versoix II et Kosova II dégénère en bagarre générale. Bilan: deux joueurs sérieusement blessés, quatre écroués (l’un passera près d’un mois à Champ-Dollon), neuf mis en prévention et la dissolution de l’équipe de Kosova II. Très largement documentée (300 photos et vidéos), la rixe fait le tour des réseaux et se termine au tribunal.
Le 9 septembre, l’arbitre du match Tordoya-Satigny III (5e ligue) est frappé par un, puis deux, puis trois joueurs de l’équipe de Tordoya. Les agresseurs passent trois semaines en détention préventive. Choqués et excédés, les arbitres membres de l’Union genevoise des arbitres de football (UGAF) votent à une quasi-unanimité la grève générale le week-end suivant. «Une mesure radicale mais nécessaire pour faire comprendre que les temps ont changé et que les mesures d’hier ne sont plus efficaces aujourd’hui», estime le président de l’UGAF, Skander Chahlaoui.
Personne n’accuse personne
Si l’heure est grave, le ton est étonnamment calme. Les prises de parole sont dignes, apaisées, constructives. Personne n’accuse personne, aucun club n’est montré du doigt. «Grand club, petit club, de ville ou de campagne, identifié ou non à une communauté, personne ne peut se croire à l’abri», prévient Pascal Chobaz, le président de l’Association cantonale genevoise de football (ACGF), qui recense 19000 joueurs.
Personne dans l’assemblée ne remet en cause l’existence d’un problème. Pourtant, comme le précise Matthias Krummen, le «Monsieur Fair-Play» à l’Association suisse de football (ASF), les faits de violences graves sur les terrains de football sont exceptionnels en Suisse, «de 10 à 30 cas pour 1000 matchs». Ils sont même plutôt en régression sur la période 2001-2017. «Tant les violences envers les arbitres que les cartons rouges pour agressions et les suspensions longues (4 matchs ou plus) sont en diminution de près de 40%.»
Pourquoi l’ASF a-t-elle alors décidé de créer un poste dédié au fair-play en octobre 2017? Pourquoi distribue-t-elle des banderoles et 90000 francs de dons aux vainqueurs des trophées du fairplay? Pourquoi l’association cantonale bâloise paie-t-elle des gens pour voir des matchs amateurs et y faire de la sensibilisation? Pourquoi Vaud et Fribourg dépêchent-ils des superviseurs sur les matchs à risque?
Contenir parents et supporters
Ce qui est nouveau, témoignent toutes les parties prenantes, ce sont d’une part un déchaînement de violence toujours plus brutale (on frappe directement à la tête, on s’acharne à plusieurs sur un homme à terre), et d’autre part un climat de tensions toujours plus pesant autour des terrains. Gérer les parents et les spectateurs est devenu une nouvelle problématique.
Certains trouvent des solutions. «Nous avons demandé à certains parents d’encadrer les autres. Dans les cas extrêmes, la présence de parents «à problèmes» est négociée: certains ont dû aider le coach ou passer la panosse dans le vestiaire», témoigne le président du FC Versoix, Simon Pidancet.
Les bonnes idées ne manquent pas. Faire intervenir des professionnels de la médiation sociale, obliger clubs et joueurs à signer des chartes de bonne conduite, garder les spectateurs à distance (ou du côté opposé aux bancs de touche). Mais l’on sent très vite que ces clubs, souvent portés à bout de bras par des bénévoles, n’ont pas les ressources pour régler des problèmes dont le football ne fait qu’hériter de la société. «Mes entraîneurs sont formés pour apprendre aux enfants à jouer au football, pas pour gérer des adultes», explique un dirigeant.
Très remarquée, l’intervention du président de Signal Bernex, Michel Jaggi, souligne combien les clubs sportifs, pas seulement de football, pallient de facto le désinvestissement des institutions dans les structures parascolaires. De 16h à 19h, la jeunesse et ses problèmes sont confiés aux mains d’entraîneurs pétris de bonne volonté mais pas toujours qualifiés. «Tôt ou tard, il faudra mettre de l’argent», admet le maire de Genève, Sami Kanaan, organisateur à l’écoute.
Plusieurs groupes de travail vont désormais se former pour tenter de proposer des solutions. Elles seront présentées publiquement le 6 mars 2019 lors de la seconde assemblée de ces états généraux.
«Grand club, petit club, de ville ou de campagne, identifié ou non à une communauté, personne ne peut se croire à l’abri»
PASCAL CHOBAZ, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION CANTONALE GENEVOISE DE FOOTBALL (ACGF)