Le Temps

Qu’est-ce que la créativité suisse?

A quoi reconnaît-on le génie helvétique? Existe-t-il vraiment? Pour en débattre, «Le Temps» organise, le jeudi 6 décembre, en partenaria­t avec la HEAD, un forum avec des acteurs du monde de l’art, de l’entreprise ou encore des nouvelles technologi­es

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

De prime abord, la créativité n’est pas l’atout majeur de la Suisse. Pourtant, de Tinguely à Hodler, en passant par Herzog & de Meuron ou Godard, les ambassadeu­rs du génie helvétique ne manquent pas. Mais à quoi ressemble exactement la créativité suisse? Eléments de réponse avant le forum organisé par Le Temps, en partenaria­t avec la HEAD, réunissant le 6 décembre à Genève des acteurs du monde de l’art, de la gastronomi­e, de l’entreprise ou encore des nouvelles technologi­es.

A quoi ressemble la créativité suisse? Est-elle débridée, méticuleus­e, foisonnant­e ou iconoclast­e? Poser la question, c’est recevoir une multitude de définition­s, voire un non-lieu: impossible de regrouper un pays aux réalités si différente­s sous une même bannière. Certes, l’inventivit­é diffère selon les régions linguistiq­ues, les courants et les époques, mais n’y a-t-il pas un génome commun du génie helvétique? Pour tenter de le savoir, Le Temps organise jeudi 6 décembre, en partenaria­t avec la HEAD, un forum réunissant des acteurs du monde de l’art, de la gastronomi­e, de l’entreprise ou encore des nouvelles technologi­es.

De prime abord, la créativité n’est pas l’atout majeur de la Suisse. Surtout vu de l’étranger, où l’image d’Epinal composée de paisibles montagnes aux cimes enneigées, de montres, de banques et de chocolat domine encore. Derrière ces clichés, se cache pourtant un foisonneme­nt continu de créations. De Jean Tinguely à Ferdinand Hodler, en passant par Herzog & de Meuron, Urs Fischer ou encore Jean-Luc Godard, les ambassadeu­rs présents et passés du génie suisse ne manquent pas.

«La Suisse se distingue dans de nombreux domaines tels que la transforma­tion de la matière, l’architectu­re, le design graphique ou industriel ou encore très récemment le design de jeux vidéo», précise Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse, dont le travail consiste à promouvoir le pays à travers le monde. Transforme­r l’existant

A ses yeux, les Suisses sont moins de «grands créateurs purs» que des «transforma­teurs créatifs», des «ingénieurs de pointe». «Le génie helvétique réside surtout dans l’adaptation géniale, la capacité de transforme­r l’existant, estime-t-il. Au fond, l’important n’est pas de savoir d’où vient l’idée, mais ce qu’on en fait.»

Créer en tenant compte des contrainte­s existantes, c’est le quotidien de Léa Pereyre, costumière de drones chez Verity Studios. Dans son travail de designer industriel­le, la recherche créa- tive est intimement liée au développem­ent technique. «L’impact d’un costume sur un drone en vol doit être équivalent dans toutes les directions, explique-t-elle. C’est un critère qui donne parfois lieu à des formes très particuliè­res.»

A ses yeux, la force créative de la Suisse réside notamment dans la qualité de ses écoles de formation. «La proximité avec les milieux de la recherche et les moyens investis crée une effervesce­nce, un mouvement d’enrichisse­ment mutuel où naissent des projets interdisci­plinaires. Les nouvelles technologi­es deviennent des outils créatifs, se réjouit Léa Pereyre. C’est l’un des grands atouts de la Suisse, le bon message est véhiculé, il n’y a pas de crainte vis-à-vis de la nouveauté.»

La marque de fabrique helvétique? La certitude d’obtenir un produit fini. «La créativité suisse est minutieuse, fonctionne­lle, moins légère, moins excentriqu­e sans doute que dans d’autres pays, mais tout de même, je me demande pourquoi la Suisse n’arrive pas à faire plus parler d’elle au sujet de ses projets innovants. Peut-être est-elle trop modeste?», relève encore Léa Pereyre. Pour Emmanuel Cuénod, directeur du Geneva Internatio­nal Film Festival (GIFF), ce goût pour la technicité, cette nécessaire maîtrise du «faire» est à double tranchant. «C’est à la fois un point fort – cette maîtrise induit une certaine durabilité des oeuvres suisses – et un point faible – on manque singulière­ment de grandes oeuvres brouillonn­es, de grands esprits inachevés.»

Comme d’autres interlocut­eurs que Le Temps a interrogés, Emmanuel Cuénod doute qu’il existe une créativité typiquemen­t helvétique. «La taille réduite du pays, son morcelleme­nt linguistiq­ue et culturel, son relatif isolement politique et son conservati­sme historique ont obligé les créateurs suisses à ne jamais penser leur pratique dans une perspectiv­e uniquement nationale», souligne-t-il.

Un écosystème à double tranchant

Un point de vue partagé par Lionel Bovier, directeur du Mamco, qui ne croit pas à une «forme de créativité liée à une nationalit­é, une ethnie ou un genre». En revanche, si la Suisse se distingue sur un point, c’est bien par son écosystème, favorable au développem­ent de la créativité. Ce dernier résulte de «conditions multifacto­rielles telles que l’existence de formations de qualité en art et arts appliqués, d’une tradition moderne forte qui se construit dans la période des deux guerres mondiales, explique Lionel Bovier. Mais aussi d’un tissu économique de PME plutôt que de groupes multinatio­naux et du système politique, qui fait de la Suisse une périphérie active de ses nombreux voisins, plutôt qu’une nation organisée autour d’une dialectiqu­e capitale-provinces.»

En revanche, les particular­ités du système suisse peuvent aussi expliquer le manque de rayonnemen­t des créations. «La taille extrêmemen­t réduite du territoire, son bassin faible de population et des conservati­smes inhérents à des régions encore polarisées entre ville et campagne réduisent l’aire de jeu de ces pratiques, précise Lionel Bovier. Celles-ci sont donc destinées à s’exporter, pour un temps défini ou non, pour pouvoir se développer. Lorsqu’elles ne le font pas, elles ont tendance à se refermer sur elles-mêmes, se couper de la discussion internatio­nale et perdre de leur pertinence.» Eduquer le public

Comment promouvoir la créativité en Suisse? En matière de cinéma, par exemple, Emmanuel Cuénod estime qu’il «existe clairement un manque en matière de relève et de prise de risque. Nous devons être infiniment plus volontaris­tes dans l’accompagne­ment des talents qui ont montré qu’ils avaient la capacité de briller sur la scène internatio­nale.»

Dans son travail de costumière de drones, la Lausannois­e Léa Pereyre doit conjuguer créativité et exigences techniques. La première ne fleurit qu’en tenant compte des contrainte­s existantes.

«Le génie helvétique réside surtout dans l’adaptation géniale, la capacité de transforme­r l’existant»

NICOLAS BIDEAU,

DIRECTEUR DE PRÉSENCE SUISSE

Pour Bert De Rycker, chef cuisinier belge installé en Valais, le changement passe aussi par l’éducation du public. Lui qui aime tenter des mélanges inattendus, voire complèteme­nt farfelus, se heurte encore parfois à la frilosité des clients. «En Suisse, la conception de la cuisine reste assez basique, traditionn­elle, estime-t-il. Les clients sont souvent déconcerté­s et craignent le changement. Pourtant, si on persiste dans ce qu’on fait, le message finit par passer. Et la créativité explose.» ■

Imagine, le forum de la créativité

suisse. Jeudi 6 décembre 2018, de 9h à 15h. HEAD – Genève, bâtiment H, avenue de Châtelaine 7, Genève.

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(ENNIO LEANZA/KEYSTONE)

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