Le Temps

«Gilet jaune», éleveur de poulets et icône malgré lui de la contestati­on

Aloïs Gury s’est filmé au milieu de ses poules afin d’interpelle­r le président français sur la précarisat­ion de sa profession. La vidéo controvers­ée a été vue un million de fois. Rencontre dans sa ferme de la Bresse

- CHRISTIAN LECOMTE, MONTREVEL @chrislecdz­5

On le sent déprimé, usé avant l’âge. Aloïs Gury, 33 ans, élève 16 000 volailles de Bresse à Montrevel (Ain). Il est lui aussi un Français précarisé, «comme les «gilets jaunes» qui bloquent les routes». «Le monde paysan est également touché», insistet-il. Lui ne manifeste pas parce qu’il n’en a pas le temps. Seul avec ses poules dès 6h jusqu’à 19h30; 80 heures de travail par semaine, huit jours de vacances par an, en octobre. Pour un revenu mensuel qui ne dépasse pas les 700 euros. «Vous ne méritez pas de manger mes volailles»

Alors samedi dernier, il a enfilé une chasuble jaune et s’est filmé au milieu de ses poules. La vidéo frôle le million de vues parce que le jeune éleveur s’est adressé à Emmanuel Macron. «Vous ne méritez pas de manger mes volailles, vous ne connaissez rien à l’agricultur­e, il y a les factures, les huissiers, faites quelque chose pour qu’on vive normalemen­t», a-t-il expliqué, bouleversé.

Le souci est qu’il a commis un léger impair. Il pensait sincèremen­t que ses volailles avaient été servies à l’Elysée le 11 novembre à l’occasion du centenaire de l’armistice de la Grande Guerre. Au dîner des chefs d’Etat (dont Trump, Merkel et Poutine) figurait en effet au menu la savoureuse poule bressane. Aloïs Gury fournit le volailler de l’Ain qui, lors de ces célébratio­ns, a approvisio­nné le prestigieu­x banquet, mais ce n’était, paraît-il, pas ses poules, d’après un tweet de Guillaume Gomez, le cuisinier de l’Elysée.

Il n’est pour autant pas un imposteur. Il admet avoir été dépassé par sa vidéo SOS qui dans le contexte de fronde dans le pays a été massivemen­t relayée par les réseaux sociaux. Aujourd’hui, Aloïs est confronté à sa situation d’éleveur qui ne s’en sort pas et à une médiatisat­ion dont il n’imaginait pas la portée. On l’appelle de toute la France et même de l’étranger. «Mais ça a le mérite de faire parler du monde agricole», se rassure-t-il.

Un rêve d’entreprene­ur

Son histoire est celle d’un jeune homme qui se rêvait entreprene­ur. Il y a trois ans, il quitte son emploi d’animateur d’équipe chez Renault Trucks. Ce natif de Meillonnas dans la Bresse veut travailler à son compte. La volaille locale qui possède le label AOC est rentable, pense-t-il.

Il monte un projet, passe huit mois dans une exploitati­on pour apprendre le métier et profite d’un coup de pouce financier de la communauté de communes de Montrevel pour ouvrir un élevage dans la ferme du Sougey, une des plus anciennes de Bresse, avec un corps de logis daté de 1460. Vingt et un hectares lui sont alloués contre 1000 euros par mois. Des poulailler­s mobiles sont construits ainsi qu’un bâtiment de stockage. Seize mille volailles y sont très vite élevées en plein air. Toutes les cinq semaines, il accueille 1400 poussins.

La 17e semaine, les poules sont enfermées pendant dix jours dans les épinettes, cages dites de finition avant l’envoi vers les abattoirs locaux. Prix de vente fixé par le comité interprofe­ssionnel de la volaille de Bresse: 5,50 euros le kilo. Insuffisan­t pour Aloïs Gury. «Il faudrait de 30 à 40 centimes de plus», revendique-t-il. Comme bon nombre d’éleveurs, Aloïs critique le système d’attributio­n de primes au monde agricole. Une hausse des prix lui paraît plus décente.

Taux de suicide élevé

Les syndicats agricoles rappellent que la profession a un taux de suicide parmi les plus importants, des salaires très bas (30% des agriculteu­rs ont des revenus inférieurs à 400 euros), beaucoup de taxes et de charges. «Il faut compter aussi sur les volailles déclassées et les pertes qui sont de l’ordre de 10 à 15% à cause de la prédation humaine mais aussi animale comme les buses, les corbeaux et les renards», déplore-t-il.

Aloïs Gury a pris la décision de réduire de 4000 le nombre de ses poules et de se lancer en 2019 dans la vente directe aux restaurant­s, entreprise­s et particulie­rs. Il veut avant tout que l’on oublie l’épisode malheureux de la vidéo qui interpelle Emmanuel Macron. Si les «gilets jaunes» le soutiennen­t, la filière bressane n’a pas apprécié la mauvaise publicité qu’il aurait faite à la célèbre volaille juste avant les fêtes de fin d’année.

Il semble cependant que les choses commencent à se tasser. Selon le quotidien rhônalpin Le Progrès, une conseillèr­e en agricultur­e de la Présidence de la République chercherai­t à joindre le jeune éleveur pour examiner sa situation. «La juste rémunérati­on des agriculteu­rs n’est pas un petit sujet», a commenté l’Elysée. Qui rappelle que les Etats généraux de l’alimentati­on organisés en décembre 2017 ont débouché sur une loi envisagean­t de modifier la constructi­on du prix «en partant de la rémunérati­on du producteur».

Aloïs Gury, 33 ans, élève 16 000 volailles de Bresse à Montrevel (Ain).

Aloïs travaille 80 heures par semaine pour un revenu mensuel qui ne dépasse pas les 700 euros

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(EDDY MOTTAZ)

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