Le Temps

Le lent grignotage de l’Ukraine

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Voilà quatre ans et demi qu’une guerre sévit en Europe dont la ligne de front traverse le Donbass, dans l’est de l’Ukraine. Elle a de multiples visages puisqu’il s’agit tout à la fois d’une guerre civile, interne à l’Ukraine, d’un conflit entre Kiev et Moscou et d’une confrontat­ion entre l’Europe (l’Ukraine étant liée par un accord d’associatio­n à l’UE) et la Russie. Ce conflit n’est pas gelé, mais de basse intensité, avec de régulières éruptions. La dernière en date, l’arraisonne­ment de trois navires ukrainiens par la Russie dans le détroit de Kertch dont elle contrôle le passage, vient rappeler qu’à tout moment les tensions pourraient dégénérer en un conflit beaucoup plus chaud.

Comme toujours dans ce type d’accrochage, chaque camp se renvoie la responsabi­lité du déclenchem­ent des hostilités. Est-ce Petro Porochenko qui aurait délibéréme­nt provoqué l’interventi­on russe, comme le soutient Moscou, pour raviver ses soutiens politiques? C’est plausible si l’on sait qu’à quelques mois des élections, la cote de popularité du président ukrainien est au plus bas. Mais il est tout aussi plausible que Vladimir Poutine ait fait le choix d’une nouvelle offensive, lui dont la cote de popularité est en baisse depuis plusieurs mois. Ce qui est certain, c’est que la Russie a décidé d’intervenir, et cela sur la base d’un pur rapport de force, probableme­nt en violation du droit internatio­nal de la navigation.

Cet incident marque une nouvelle étape du grignotage de la souveraine­té ukrainienn­e par la Russie: après l’annexion – jugée illégale par l’Ukraine et l’UE et non reconnue par l’ONU – de la Crimée, puis la sécession de l’est du Donbass dont les forces pro-russes sont soutenues

Kiev découple mois après mois son destin de celui de la Russie

militairem­ent par Moscou, c’est aujourd’hui la mer d’Azov qui est de facto russifiée, puisque sous son complet contrôle. Le blocus du détroit de Kertch observé depuis le début de semaine menace désormais les deux grands ports de l’est de l’Ukraine, Berdiansk et surtout Marioupol, ville stratégiqu­e qui avait été reprise in extremis par Kiev aux rebelles avant le cessez-le-feu et les accords de Minsk.

Face à ce dernier coup porté par Poutine, Porochenko a décrété la loi martiale. Elle pourrait bien être maintenue jusqu’aux élections. L’Europe proteste au nom du droit et rejette toute solution militaire, mais se divise sur l’éventualit­é de nouvelles sanctions frappant Moscou. Quant aux Etats-Unis, ils menacent mais sont paralysés par un président incapable de la moindre initiative envers la Russie pour des raisons de politique interne.

Reste l’OTAN, que l’Ukraine appelle à la rescousse pour rouvrir la mer d’Azov et dont une réunion des ministres aura lieu mardi prochain. Des navires de l’alliance croisent déjà en mer Noire. Mais n’est-ce pas justement leur présence qui suscite la nervosité russe?

Quatre ans et demi après le début du conflit, tous les ingrédient­s pour la poursuite d’un lent pourrissem­ent du conflit ukrainien sont réunis. Moscou maintient l’instabilit­é du territoire ukrainien dans l’espoir du retour d’un pro-russe à la présidence, par lassitude sinon conviction. Kiev découple mois après mois son destin de celui de la Russie, le pas le plus spectacula­ire ayant été l’autonomisa­tion de l’Eglise orthodoxe ukrainienn­e vis-à-vis de Moscou. En réalité l’avenir des Ukrainiens n’est que partiellem­ent entre leurs mains. Et la paix qui implique une entente Est-Ouest sur le statut de l’Ukraine comme Etat tampon, ni intégré dans l’OTAN ni contraint par la sphère d’influence russe, semble encore bien lointaine. ▅

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