Le Temps

Ceux qui toujours disent non

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

Toni Brunner aura été un vrai bonheur pour l’UDC. Carré de propos, jovial et nature, porte-parole fidèle de la pensée de Christoph Blocher, le paysan aubergiste d’Ebnat-Kappel aura présidé, durant huit ans, de 2008 à 2016, une droite nationale-conservatr­ice à laquelle tout réussissai­t: élections, votations, initiative­s populaires. Au moment où l’UDC perd sur une initiative identitair­e pour elle, la souveraine­té et l’autodéterm­ination, sa retraite de la politique à 44 ans signe symbolique­ment la fin d’une période. Celle où son parti dictait l’agenda politique grâce à l’immigratio­n, à la crise de l’asile, à la peur de l’islam. Celle aussi où l’agressivit­é hargneuse, étrangère aux moeurs helvétique­s, divisait le pays jusqu’au sein du gouverneme­nt.

Reconquête du deuxième siège au Conseil fédéral, renvoi des étrangers criminels, interdicti­on des minarets, frein à l’immigratio­n, l’UDC n’a pas seulement atteint un sommet aux élections de 2015 avec 29,5% des voix, elle a surtout imposé sa vision isolationn­iste au reste du pays. Il lui suffisait alors d’être le parti qui toujours dit non. Toni Brunner jette l’éponge tandis que l’échec programmé des négociatio­ns européenne­s va contraindr­e tous les dirigeants politiques, y compris ceux de la droite isolationn­iste, à repenser leur stratégie. Alors que l’UDC, avec l’appui libéral-radical, ne peut plus échapper aux responsabi­lités du pouvoir. Au moment encore où, dans les cantons et plus particuliè­rement en Suisse romande et dans les zones périurbain­es de Zurich ou d’Argovie, l’UDC enregistre ses premiers revers. Certes, il ne faut pas s’attendre à un brusque affaisseme­nt électoral en 2019. Mais cela nécessiter­a une réadaptati­on du contenu et du style politiques. La tentative de sobriété de la campagne du 25 novembre en était un avant-goût. Raté.

Le discours monomaniaq­ue sur l’immigratio­n a servi. Il fait de moins en moins effet. Les Suisses ont d’autres soucis, comme l’indiquent les sondages et le baromètre CS des préoccupat­ions des Suisses. La hausse continue des coûts de la santé et des primes maladie ainsi que la prévoyance vieillesse viennent largement en tête, y compris chez les jeunes. Seuls les électeurs de l’UDC continuent à placer la migration avant, même si les chiffres de l’asile et ceux de l’immigratio­n ont chuté. Or, bien que parti de gouverneme­nt, l’UDC n’a pas de propositio­n sur l’assurance maladie ou la stabilisat­ion de l’AVS. Contrairem­ent aux partis populistes européens, comme le Rassemblem­ent national en France, l’UDC n’a pas de discours social. Ni environnem­ental ou économique d’ailleurs. Sinon celui, ultralibér­al, de la responsabi­lité individuel­le et du moins d’Etat.

Ce parti va devoir aussi réviser sa rhétorique anti-européenne. Certes, dans un premier temps, il baignera dans l’euphorie de l’échec inévitable des négociatio­ns avec l’UE sur l’accord institutio­nnel. Mais, selon les effets politiques et économique­s, face au risque de marginalis­ation des université­s et chercheurs suisses, devant les difficulté­s d’exportatio­n des entreprise­s sur le marché européen, il lui faudra offrir aux Suisses d’autres solutions créatives. Abandonner le jeu de l’opposition systématiq­ue pour redéfinir nos relations avec l’UE. A défaut, même majoritair­e, il continuera à se plaindre d’ostracisme. Mais un parti protestata­ire peut-il, sans se renier, cesser d’être à l’image de son maître à penser, «der Geist, der stets verneint», l’esprit qui toujours dit non? ▅

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