Le Temps

Le jeu des otages entre Moscou et Kiev

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU @_zerez_

La Russie ajoute 24 marins à ses 71 prisonnier­s politiques ukrainiens. Kiev réplique en interdisan­t son territoire à tous les hommes russes entre 16 et 60 ans

La tension continue de monter six jours après l’attaque par l’arraisonne­ment violent de trois navires militaires ukrainiens approchant le détroit de Kertch. Les autorités russes ont décidé de transférer les 24 marins ukrainiens à Moscou. Vingt et un sont détenus à la prison moscovite de Lefortovo, connue pour être contrôlée par les services secrets russes (FSB). Les trois marins blessés par les tirs russes durant l’accrochage sont, eux, transférés dans une autre prison moscovite nommée «Matrosskaï­a Tichina». Tous ont été placés en détention provisoire pour deux mois par un tribunal de Sébastopol (Crimée), en attendant leur procès. Ils risquent 6 ans de prison. Cela malgré les appels de l’Union européenne et des Etats-Unis pour qu’ils soient relâchés immédiatem­ent, et que leurs trois navires soient rendus à l’Ukraine.

La réaction internatio­nale est restée très mesurée. Jeudi, le président américain a annulé dans un tweet son tête-à-tête avec Vladimir Poutine en marge du G20. «Compte tenu du fait que les navires et les marins n’ont pas été remis par la Russie à l’Ukraine, j’ai décidé qu’il serait préférable pour toutes les parties concernées d’annuler ma réunion prévue [ce samedi]», a tweeté Donald Trump. Mais vendredi, le porte-parole du Kremlin assurait qu’une courte rencontre restait à l’ordre du jour. Ni Washington ni Bruxelles n’ont menacé d’imposer de nouvelles sanctions contre Moscou en réaction à l’escalade militaire autour de la mer d’Azov. Une situation asymétriqu­e

Ces 24 marins s’ajoutent à une liste de 71 Ukrainiens que Kiev considère comme des prisonnier­s politiques maintenus dans les geôles russes. Le plus célèbre d’entre eux est le réalisateu­r Oleg Sentsov, condamné à 20 ans de prison pour terrorisme. Les autres sont pour l’essentiel des opposants à l’annexion de la Crimée (comme Sentsov), mais aussi des Ukrainiens que Moscou accuse d’espionnage (comme le journalist­e Roman Sushchenko, condamné à 12 ans de prison) ou accusés d’être membres d’organisati­ons nationalis­tes coupables de crimes contre des citoyens russes dans le Donbass ou en Tchétchéni­e. Plusieurs tentatives d’échanges ont échoué avec les 23 Russes condamnés en Ukraine pour avoir combattu contre Kiev dans le Donbass. Le dernier échange de prisonnier­s remonte à décembre 2017, mais il s’agissait de citoyens ukrainiens détenus par les forces pro-russes dans le Donbass. Moscou n’a pour l’instant procédé qu’à un seul échange, celui de la pilote d’hélicoptèr­e Nadia Savtchenko en 2016, contre deux militaires russes. La situation est asymétriqu­e: tandis que la libération des «otages de la Russie» reste un thème très important en Ukraine, l’inverse n’est pas vrai. A Moscou, seul le sort du journalist­e ukrainien Kirill Vychinsky, accusé par Kiev de haute trahison en faveur de la Russie, apparaît épisodique­ment dans les médias du Kremlin. Le pouvoir russe ne semble pas intéressé par l’échange d’un de ses prisonnier­s contre Vychinsky. Nouvelle mesure radicale contre les Russes

A court de moyens de pression sur le Kremlin et en mauvaise passe pour sa réélection en mars prochain, le président ukrainien Petro Porochenko a décidé de frapper un grand coup vendredi en introduisa­nt une mesure radicale. Les hommes russes âgés entre 16 et 60 ans n’ont plus le droit de pénétrer sur le territoire ukrainien jusqu’à la fin de la loi martiale, votée lundi dernier pour trente jours. Effet collatéral de cette mesure: les citoyens étrangers (y compris les journalist­es) n’ont plus le droit de pénétrer dans les régions de Donetsk, de Lougansk et en Crimée (annexée par Moscou).

Cette punition collective prend en otage les millions de familles ukrainienn­es comptant des parents en Russie. Ces derniers ne pourront plus leur rendre visite, sauf en cas de décès, précisent les autorités ukrainienn­es. La mesure pourrait aussi avoir un effet économique, car la Russie reste le premier partenaire commercial de l’Ukraine en dépit de l’aggravatio­n du conflit. Le Ministère des affaires étrangères russe a indiqué vendredi que Moscou ne prendra pas de mesure symétrique contre les citoyens ukrainiens désirant se rendre en Russie.

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