La taxe GAFA est toujours à la peine
Les Etats de l’Union européenne se prononceront le 4 décembre sur l’avenir d’une taxe sur les services numériques des GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple). Mais les chances qu’ils y parviennent, étant divisés sur cette question, semblent minces
Un projet déjà mort-né? Mardi 4 décembre, les ministres européens de l’Economie et des Finances devront répondre clairement à cette question: la taxation dans l’Union européenne (UE) des géants du web a-t-elle un avenir en dehors d’un dispositif international piloté par l’OCDE ou est-elle vouée à l’échec, tant les réserves sont nombreuses?
Invitée à le faire en 2017 par la France et quelques autres soucieux de faire payer plus d’impôts à ces mastodontes brassant des milliards mais n’ayant pas de présence physique partout dans l’UE, la Commission s’est exécutée en mars en proposant de taxer à hauteur de 3% le chiffre d’affaires généré par les activités des utilisateurs. Elle concernerait des revenus qui génèrent au moins 750 millions d’euros (environ 850 millions de francs) dans le monde et 50 millions d’euros dans l’UE.
La Commission a en parallèle proposé une directive visant sur le plus long terme à définir le concept de présence numérique, la taxe de 3% devant donc seulement être une taxe intérimaire. Outre son impôt sur la société payée en Irlande, là où il a son siège social pour l’Europe, Facebook paierait donc une tranche supplémentaire de 3% dans chaque Etat membre où ses services sont utilisés.
Mais voilà: près de huit mois après ces annonces, les Européens semblent en être quasiment au même point et les hésitations allemandes, influencées par les menaces américaines sur l’automobile, n’ont pas aidé. Berlin comme d’autres souhaiteraient en effet que l’OCDE agisse d’abord à son niveau et mette tous les pays dans le même bateau et en particulier les poids lourds que sont les Etats-Unis ou la Chine. Sans eux, veulent croire les détracteurs de la taxe européenne, inutile de perdre du temps avec un instrument qui sera inopérant.
Dès le départ, plusieurs pays hostiles à cette taxation européenne ont dit leur souhait que l’OCDE agisse en premier. L’Irlande ou le Luxembourg avaient ainsi sécurisé des conclusions politiques en ce sens en décembre 2017. Mais cela n’a pas empêché les autres de continuer à plancher sur le texte: le dernier compromis sur la table, que les ministres auront à endosser mardi prochain, prévoit ainsi une clause spéciale, dite «sunset clause»: en cas d’échec de l’OCDE d’ici à fin 2020 à identifier une mesure applicable globalement, l’UE activerait sa taxe au 1er janvier 2022. Elle aurait ensuite vocation à s’éteindre à partir du moment où l’OCDE identifierait une solution à son niveau.
Ce compromis représente un recul par rapport au calendrier plus serré qu’espérait Paris mais a pourtant permis de ramener vers le camp des pro-taxe un pays comme le Luxembourg. Cette ligne médiane serait même aujourd’hui relativement soutenue. Mais en matière de fiscalité, l’unanimité est la règle dans l’UE et une poignée de réfractaires suffit à doucher tout espoir.
C’est le cas de l’Irlande mais aussi de la Suède, du Danemark et de la Finlande. Ces irréductibles n’ont pas bougé d’un iota. Et lors d’une dernière réunion en milieu de semaine, «ces quatre pays et l’Allemagne ont encore été très clairs», dit un diplomate. Le commissaire européen à la Fiscalité Pierre Moscovici a déjà anticipé un échec de la réunion dans une interview donnée un peu plus tôt cette semaine. Mais, comme Paris, il souhaite quand même qu’une déclaration d’intention puisse en sortir, signalant que le projet n’est pas encore complètement mort. Tour d’horizon des positions des différents Etats européens qui comptent dans ce dossier.
1•FRANCE: UNE MESURE DE JUSTICE SOCIALE
La Commission avait déjà évoqué en 2016 le principe d’une taxation des services numériques, mais Paris lui a donné une visibilité incontestable à la rentrée 2017. Pour le président français Emmanuel Macron, cette taxe sur les géants du web est une mesure concrète de justice fiscale et populaire, d’autant plus importante dans l’optique des élections européennes de mai 2019. Paris a obtenu progressivement des appuis, au risque de reculer sur ses ambitions de départ. Mais la France ne peut toujours pas compter sur le soutien indéfectible de son allié allemand, ce qui constitue encore un défi. D’ailleurs, avoir un accord avec Berlin serait devenu son objectif principal pour mardi.
2•ALLEMAGNE: POSITION DÉLICATE
Pour Berlin, cela a d’abord été oui, puis non, puis peut-être… La position du gouvernement allemand est bien difficile à fixer tant les déclarations de ses représentants ont pu se contredire ces derniers temps. La chancelière Angela Merkel a indiqué le 13 novembre à Strasbourg qu’elle misait d’abord sur une solution au niveau international, tandis que son ministre des Finances Olaf Scholz a tendu la main à son homologue français sur une solution temporaire et une clause de caducité. Mais ces derniers jours, G20 oblige, le ton allemand était plutôt à s’opposer au projet, de peur des représailles américaines sur les voitures. Berlin semble donc coincé.
3•ROYAUME-UNI, PAYS-BAS: FAVORABLES AU PRINCIPE
Londres a déjà annoncé sa taxe numérique nationale pour 2020, donc il n’est pas du tout opposé au principe. La taxe britannique ne touchera que les entreprises générant plus de 560 millions d’euros de chiffre d’affaires à hauteur de 2% sur les ventes générées par les utilisateurs britanniques. Mais le Royaume-Uni demande un peu plus de temps, notamment pour comprendre la combinaison entre cet outil européen et sa taxe nationale. Les Pays-Bas seraient aussi dans cette logique.
4•IRLANDE: C’EST NON
Etant le siège social européen de la plupart des géants du web, le pays, à la fiscalité des entreprises attractive, n’a pas envie de froisser ses partenaires américains. Le gouvernement a aussi un problème avec le fait que l’on taxe les revenus et a déjà soulevé les problèmes de double imposition avec les EtatsUnis. Dublin estime aussi que cette taxe européenne – qui n’empêche pas que d’autres mesures nationales similaires s’appliquent sur d’autres activités de ces GAFA – peut compliquer le tableau global.
5•PAYS NORDIQUES: OPPOSITION PHILOSOPHIQUE
Comme l’Irlande, la Suède, le Danemark et la Finlande sont opposés depuis le début au projet. Mais à la différence de l’Irlande, qui accueille de nombreux sièges sociaux sur son sol, c’est plutôt une opposition philosophique. On ne badine pas avec le libre-échange et il faut éviter toute barrière de nature commerciale qui fasse fuir les entreprises étrangères. Toute mesure s’assimilant à du protectionnisme est de ce fait assez mal vue.
6•LUXEMBOURG: DE L’EAU DANS SON VIN
Classé parmi les «anti» au départ, le pays a mis de l’eau dans son vin; il préfère largement une solution internationale. Le compromis sur la table l’a ramené vers le camp français. «On peut vivre avec», dit une source. Le premier ministre Xavier Bettel a aussi de la sympathie pour Emmanuel Macron, d’où peut-être l’envie de jouer le jeu.
Dès le départ, des pays hostiles à cette taxation européenne ont souhaité que l’OCDE agisse en premier