Epargnez-nous les «cadeaux selfies»!
[…] L’expression «cadeau selfie», je l’ai bricolée pour désigner les présents incompréhensibles que nous offrent des personnes si tournées sur ellesmêmes qu’elles semblent s’autosourire, ravies. Tout comme pour les selfies. Selon mes observations, il y aurait deux catégories de «cadeaux selfies». Ceux dont la principale fonction consiste à alimenter l’image de celui ou celle qui les offre […]. Et ceux que l’on reçoit, qu’on n’aime pas et qu’on s’empresse de recycler […]. Le «cadeau selfie» se caractérise par le fait que sa valeur (pécuniaire), sa marque (prestigieuse) ou sa taille (importante) ne l’empêchent pas de «sonner faux», […] mal à propos et/ou disproportionné. Quel que soit l’angle sous lequel on l’examine, on se demande pourquoi diable on nous l’a offert. Et après la perplexité initiale vient le cas de conscience: comment le refuser, et qu’en faire?
Le palmarès…
Dans la catégorie «de luxe», une personne offre une paire de magnifiques mocassins à un membre de sa famille, sachant pertinemment que ce dernier n’en porte jamais. De plus, ils ne sont pas à la bonne pointure, ce qui n’empêche pas le généreux de s’autocongratuler: «Regardez la marque! Et c’était la dernière paire, en plus: une véritable aubaine!» Penaud, le destinataire bredouille des remerciements. Puis il se décide à rendre le cadeau au généreux qui, par un heureux hasard, a la pointure idoine… Ravi, le généreux récidive l’année suivante, cette fois avec une doudoune trop petite, ne pouvant être échangée, qui a rejoint les mocassins…
Dans la catégorie «sans chichis», l’année d’après, il a misé sur la transparence. Son cadeau (un objet électronique) était dans la boîte d’origine mal refermée, les différents éléments grossièrement rangés à l’intérieur. […] Face aux yeux ronds de la destinataire, le généreux a souri, ravi, reconnaissant l’avoir reçu mais n’en ayant absolument aucun usage.
Dans la catégorie «ni vu ni connu», l’année suivante, le multirécidiviste a offert un panier garni, de ceux qu’on reçoit dans un contexte professionnel. Avec ses pâtes […] et sa sauce au pesto […] sur un lit de paille, le panier semblait un peu trop grand. […] La bouteille, élément central de toute corbeille qui se respecte, avait pris la poudre d’escampette. Le panier dégarni lui a été promptement restitué… pour rejoindre la bouteille (et les mocassins et la doudoune). Hors catégorie, enfin, il y a ces cadeaux […] comme celui qui m’a été offert une fois: une énigmatique composition faite d’un saucisson, un bougeoir et un paquet de mouchoirs en papier… M’efforçant de ne pas chercher à comprendre, j’ai mangé le premier, donné le deuxième à une brocante caritative et rangé les mouchoirs dans mon sac.
Je peux me tromper, mais les «cadeaux selfies» sont cette patate chaude qui nous met tous ex aequo face à l’empressement de nous en défaire. C’est la manière dont nous choisissons de procéder qui fait la différence.