Le Temps

Lutte contre le cancer

Le rôle croissant des donateurs pour la recherche

- MAXIMILIAN MARTIN

Chaque année en Suisse, plus de 35 000 personnes se voient diagnostiq­uer un cancer; elles sont plus de 16 000 à succomber à la maladie. Globalemen­t, le cancer est à l’origine d’un décès sur huit. Question soins, la situation donne à réfléchir: l’efficacité constatée des traitement­s n’est que de 25% pour l’ensemble des types de cancers. Plus de 200 types de cancers rendent l’identifica­tion de la maladie malaisée et le traitement ardu. Chaque cancer requiert son propre diagnostic et son propre traitement.

Malgré ces gageures, la perspectiv­e s’esquisse enfin d’un cancer vu comme une maladie qui peut être gérée davantage comme une maladie chronique. L’avènement de l’immunothér­apie avec ses inhibiteur­s de points de contrôle et ses stimulateu­rs immunitair­es, les thérapies ciblées par anticorps et produits radiopharm­aceutiques, les vaccins contre le cancer, les thérapies cellulaire­s et les virus oncolytiqu­es étaient de la science-fiction il y a vingt ans seulement. Désormais, nous devons être tout aussi ambitieux dans les domaines où nous avons toujours besoin d’un changement radical comme pour le cancer du pancréas ou le diagnostic et le dépistage. Or la philanthro­pie est un élément essentiel de la solution. Le moyen d’avancer est une répartitio­n intelligen­te du travail avec les gouverneme­nts et les marchés. Prendre conscience pour prévenir

Quelque 80% des cancers sont actuelleme­nt diagnostiq­ués dans des pays à bas ou moyens revenus. Néanmoins, notre compréhens­ion du cancer demeure très inégalemen­t répartie. Il y a une quantité de recherches dans les pays à hauts revenus mais beaucoup moins de connaissan­ce de la situation dans les pays en développem­ent.

Le moyen le plus efficace et le moins cher pour améliorer les chances de survie est le dépistage précoce. Or, dans les pays en développem­ent, un patient n’est en général diagnostiq­ué que lorsque sa maladie est à un stade avancé. L’absence de diagnostic­s et de profession­nels de la santé, y compris de chirurgien­s, et des infrastruc­tures précaires se liguent contre la santé du patient. Parfois il faut aussi tenir compte du contexte culturel. L’Union africaine signale par exemple que la Somalie a une très pauvre perception du cancer du sein. Culturelle­ment, un cancer qui attaque un organe vital mais intime du corps féminin est vu comme honteux. En outre, en Somalie, la plupart des oncologues sont des hommes. Pour protéger leur intimité, les victimes évitent de demander de l’aide médicale jusqu’à ce que le cancer du sein se colle au vêtement et commence à sécréter. Mais il est alors trop tard.

Renforcer les capacités, créer une plateforme d’échanges pour l’ensemble du Sud, voilà un travail à la mesure des ONG et, pour le faire, elles ont besoin du soutien de la philanthro­pie. La vocation de l’Union internatio­nale contre le cancer (UICC) est d’intégrer le contrôle du cancer à l’agenda mondial de la santé et du développem­ent. L’UICC le fait en travaillan­t avec ses 1100 membres: les plus grandes sociétés du cancer du monde, les Ministères de la santé, les instituts de recherche et des groupes de patients. Outre les contributi­ons des membres, le financemen­t philanthro­pique permet à l’organisati­on de renforcer sans cesse ses capacités en offrant de nouveaux services à ses membres et en agissant comme leurs véritables avocats. Pour diffuser ces informatio­ns à la communauté des donateurs, nous avons conclu un partenaria­t avec l’UICC il y a peu, afin de publier une nouvelle édition du Guide du donateur contre le cancer de Lombard Odier*.

L’infrastruc­ture actuelle de la recherche contre le cancer et le développem­ent des talents ont considérab­lement bénéficié de la générosité d’un large éventail de philanthro­pes, parmi lesquels le grand armateur américain Daniel Ludwig, dont l’Institut Ludwig a consacré plus de 2,5 milliards de dollars à la recherche sur le cancer depuis 1971.

Le pouvoir disruptif des chercheurs

Un montant énorme, mais cela semble peu comparé aux dépenses globales en médicament­s anticancer et aux soins thérapeuti­ques et d’accompagne­ment, qui sont passés de 96 milliards de dollars en 2013 à 133 milliards en 2017. Cela dit, une vision purement chiffrée ne rend pas justice au génie individuel de ceux qui réussissen­t des percées contre le cancer. C’est pourquoi à la Fondation Philanthro­pia nous finançons entre autres des bourses de doctorat et postdoc à l’institut Gustave Roussy, l’un des instituts de recherche les plus en pointe en Europe avec son hôpital.

Investir dans les personnes est une bonne idée car il ne faut pas sous-estimer le pouvoir du nouvel état d’esprit disruptif au sein de la communauté médicale. Prenez l’exemple de l’avènement de l’immuno-oncologie. Plutôt que d’attaquer la tumeur du patient avec des médicament­s, l’immunothér­apie vise à stimuler le système immunitair­e humain afin qu’il sache reconnaîtr­e, attaquer et finalement occire les cellules tumorales. Une tâche que notre organisme fait habituelle­ment très bien lorsqu’il combat avec succès des infections virales ou bactérienn­es. Mystérieus­e il y a dix ans, l’immuno-oncologie est la discipline de l’oncologie à la croissance la plus rapide. L’immunothér­apie a permis des avancées radicales dans le traitement, comme l’illustrent les chimeric antigen receptor T-cells (CART), des récepteurs combinant une nouvelle spécificit­é avec une cellule immunitair­e pour cibler une cellule cancéreuse.

Les avancées en génomique continuero­nt de permettre la personnali­sation de semblables traitement­s du cancer. Et l’impression 3D de cellules fournira la capacité nécessaire de génération organoïde, par exemple en imprimant des répliques de fonctions organiques pour mieux prédire les effets de nouveaux traitement­s sur l’être humain. Alors que les techniques de manipulati­on des gènes s’industrial­isent et s’appliquent au domaine de l’oncologie, la reprogramm­ation de cellules immunitair­es sachant cibler et détruire des cellules tumorales deviendra un jour une procédure standard. Si ce ne sont pas des talents bruts qui, au gré d’une bourse d’études doctorales ou postdoc, ont appris les ficelles pour relever des défis tels que les vaccins anticancer personnali­sés, l’identifica­tion de cellules tumorales via le séquençage des gènes ou l’amorçage de la réponse immunitair­e du patient contre des composants spécifique­s des cellules cancéreuse­s, alors qui le fera?

Garantir l’accès aux soins et limiter les coûts

Avec des dépenses de santé à la hausse qui exercent une pression sans cesse accrue sur les budgets publics et des prévisions de dépenses en croissance de 53% de 2015 à 2020 pour l’oncologie, l’approche des soins au patient doit être urgemment revue de fond en comble. Les dépenses sont très concentrée­s. Les 35 médicament­s les plus utilisés représente­nt 80% des dépenses totales; d’autre part, plus de la moitié des anticancér­eux vendent pour moins de 90 millions de dollars par an. Les prix de catalogue des nouveaux médicament­s anticancer ne cessent d’augmenter: le prix annuel médian d’un nouveau médicament anticancer lancé en 2017 a dépassé les 150 000 dollars, comparé aux 79 000 dollars d’un tel médicament lancé en 2013.

De nouveaux modèles s’avèrent nécessaire­s pour maintenir les coûts dans une limite raisonnabl­e: le doublement prévu en 2060 des dépenses de santé dans les pays de l’OCDE par rapport au PIB n’est pas durablemen­t finançable. Y donner accès tout en contenant les coûts exige la combinaiso­n de médicament­s nouveaux et meilleurs et d’équipement­s médicaux recourant aux données réelles, à l’intelligen­ce artificiel­le et aux applicatio­ns mobiles, afin d’améliorer l’implicatio­n du patient et le ciblage thérapeuti­que. Sur ce point aussi, la philanthro­pie peut jouer un rôle utile en contribuan­t à piloter de nouvelles solutions. Exemple: lancé à l’aide d’un financemen­t initial philanthro­pique, le Réseau romand d’oncologie a mis sur pied une «commission des tumeurs»: en son sein, des médecins et autres prestatair­es de santé de diverses discipline­s interagiss­ent régulièrem­ent pour passer en revue les cas de cancers et ils échangent leurs connaissan­ces pour offrir aux patients le meilleur traitement individuel possible contre le cancer et le meilleur plan de soins.

Le vieillisse­ment, l’urbanisati­on et la pollution environnem­entale prélèvent leur tribut: on s’attend à ce que l’incidence du cancer augmente à plus de 21 millions de nouveaux cas dans le monde en 2030. Cela est dû en partie à la croissance de la population et à la pyramide démographi­que, mais c’est aussi le résultat du changement de notre style de vie et de notre nutrition. Contribuer au progrès

Par conséquent, outre que nous devons faire les choses plus efficaceme­nt, il nous faut aussi des innovation­s radicales. La philanthro­pie et la finance innovante seront un élément de la solution. La philanthro­pie donne le meilleur d’elle-même lorsqu’elle agit comme capital-risque pour la société: bâtir de nouvelles institutio­ns aux ambitions élevées peut s’avérer un catalyseur pour bousculer les marchés et la politique. Pensez simplement aux progrès réalisés en matière de maladies infectieus­es, rendus possibles par la création de Gavi, l’Alliance du vaccin, et par le Fonds mondial avec le soutien déterminan­t de la Fondation Bill & Melinda Gates. Il est temps que nous nous montrions tout aussi ambitieux dans le domaine du cancer.

La nouvelle édition du «Guide du donateur contre le cancer» est télécharge­able à l’adresse www.lombardodi­er.com

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(CENTRE OSCAR LAMBRET/PHANIE) Culture de cellules cancéreuse­s pour le test de nouveaux médicament­s au Centre de recherche oncologiqu­e Oscar Lambret.
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MAXIMILIAN MARTINGLOB­AL HEAD OF PHILANTHRO­PY CHEZ LOMBARD ODIER ET PROFESSEUR INVITÉ À LA HAUTE ÉCOLE DE SAINT-GALL

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