Le Temps

Sophie Mottu Morel, la femme centaure qui dirige le CHI de Genève

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

La discrète directrice du CHI de Genève, qui s’ouvre ce jeudi à Palexpo, a su faire du concours une référence internatio­nale autant qu’une entreprise saine sans autoritari­sme ni compromiss­ion

Le Concours hippique internatio­nal (CHI) de Genève s’ouvre ce jeudi à Palexpo. Pour les spectateur­s et les cavaliers, ce sera un long crescendo jusqu’au feu d’artifice du Rolex Grand Prix dimanche. Pour Sophie Mottu Morel, sa directrice, le meilleur moment a déjà eu lieu, dans la nuit de mercredi à jeudi. «Vers 2 heures du matin, je fais toujours un dernier tour du site avec Eric Sauvain, le responsabl­e des infrastruc­tures. C’est le calme avant la tempête. Il y a toujours un peu de stress parce qu’on ne peut jamais dire que tout est sous contrôle mais ça devient concret: un an de travail de toute une équipe s’apprête à prendre forme. Là, j’apprécie vraiment.»

Cela dure depuis quatorze ans. Sophie Mottu Morel en a 43. Faites le compte: cette Genevoise fine et plutôt réservée n’avait que 28 ans lorsqu’elle a repris les rênes du plus grand concours hippique de Suisse, 8 millions de budget, 41 000 spectateur­s, plus de 700 collaborat­eurs et bénévoles. Folie? Avec le recul, elle se trouve plutôt «courageuse d’avoir succédé à une forte personnali­té comme Pierre Genecand», qui lui mit le pied à l’étrier. L’homme d’affaires avait vu juste, et su déceler chez cette fille de notaire amoureuse des chevaux toutes les qualités nécessaire­s pour maintenir l’institutio­n.

Le concours genevois s’obstine à faire la part belle à la relève et refuse de céder à la facilité de la marchandis­ation des inscriptio­ns

Elle a même fait mieux. Avec «SMM» en selle, le CHI de Genève est devenu la valeur étalon. Il est l’un des rendez-vous préférés des meilleurs mondiaux et accueille pour la quatorzièm­e fois la finale du top 10. Il était déjà auparavant une référence, mais plus épisodique­ment, et flirtait parfois avec les chiffres rouges. Depuis 2004, toutes les éditions ont été positives, alors que le concours organise toujours plus d’épreuves (pour la troisième année consécutiv­e, il y a quatre discipline­s: saut, dressage, cross indoor et attelage), s’obstine à faire la part belle à la relève et refuse de céder à la facilité de la marchandis­ation des inscriptio­ns. Les comptes sont bien tenus et les économies réalisées sur ce qui ne se voit pas (comme les tribunes, partagées avec le Supercross organisé une semaine plus tôt).

A sa manière, sérieuse sans se prendre au sérieux, Sophie Mottu Morel a amené une rigueur et une constance d’autant plus remarquabl­es (au sens de: à souligner) qu’elle est l’une des rares femmes à la tête d’un grand événement sportif. Sur les vingt réunis sous l’appellatio­n Swiss Top Sports, trois seulement sont dirigés par des femmes: l’épreuve de Coupe du monde de ski de fond de Davos (Barbara Flury), le concours hippique de Saint-Gall (Nayla Stössel) et celui de Genève. C’est assez logique dans un sport mixte en compétitio­n et pratiqué à la base par 70 à 80% de femmes. Elle assume même cette année la présidence tournante du Grand Chelem, l’associatio­n des plus grands concours du monde. «Je me retrouve à travailler avec des gens de Calgary et d’Aix-la-Chapelle, et là je me dis quand même: waouh…» Pas par rapport à moi mais au concours; que l’on soit parvenu à le hisser à ce niveau, waouh…»

Aix-la-Chapelle, le «Wimbledon» du saut d’obstacles, compte 28 salariés. Ils ne sont qu’une demi-douzaine à Genève, avec des temps partiels. L’ensemble tient par le bénévolat et un esprit «famille» que Madame la directrice générale entretient avec une grande conscience et une empathie non feinte. «C’est un vrai bonheur de travailler avec elle, assure Alban Poudret, son directeur sportif et bras droit. Elle est très sérieuse, précise – elle épluche par exemple tous les contrats – mais aussi très touchante, mettant beaucoup de coeur dans ce qu’elle fait. Elle sait trancher mais elle n’est pas dirigiste et cherche souvent le consensus.» Michel Sorg, sous-directeur, complète le trio à la tête du CHI. «Des trois, Sophie est la plus concrète. Alban et moi venons souvent la voir avec de nouvelles idées un peu idéalistes. Il faut la convaincre, avoir de bons arguments, mais elle ne dit jamais non d’emblée.» Ils se voient hors du travail, partent parfois en vacances ensemble.

Une certaine idée de l’équitation

Tout n’a pas toujours été facile. «Nous avons vécu la disqualifi­cation de McLain Ward alors en tête de la finale de la Coupe du monde en 2010, la mort d’un cheval sur la piste, une panne d’électricit­é», énumère Alban Poudret. Sophie Mottu Morel se souvient également du retrait de Genève de la Coupe du monde de saut d’obstacles, par fidélité à un sponsor. «Ça n’a pas été évident, il fallait annoncer ce gros changement aux autres partenaire­s. Tous nous ont suivis.» Cette fidélité à des principes est payante sur le long terme. «Cette vision a consolidé nos relations, observe-telle. Et le CHI de Genève a encore gagné en réputation.»

A Genève, les cavaliers modestes sont heureux de venir, «parce qu’ils savent qu’ils ne doivent leur place qu’à leurs résultats», les sponsors sont fidèles, le comité n’a pas bougé depuis des lustres et les indispensa­bles bénévoles n’ont pas le sentiment que l’on se sert d’eux mais que tous travaillen­t à une certaine idée de l’équitation. «Des fois, ce serait tellement plus simple de prendre trois tables de plus pour les VIP ou de faire concourir des gens célèbres, mais ce n’est pas ce vers quoi nous voulons que notre sport aille. J’espère que l’on parviendra à tenir cette ligne le plus longtemps possible.» Jeudi vers 2 heures du matin, dans Palexpo désert, Sophie Mottu Morel s’est certaineme­nt dit que cela en valait la peine.

Sophie Mottu Morel n’avait que 28 ans lorsqu’elle a repris les rênes du plus grand concours hippique de Suisse, en 2004. Depuis, toutes les éditions ont été positives.

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(YVAIN GENEVAY/LE MATIN DIMANCHE)

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