Le Temps

Des cochons donneurs d’organes? Une option de plus en plus réaliste

MÉDECINE Des babouins ayant reçu une transplant­ation de coeur de porc ont survécu plus de six mois, battant largement le précédent record. De quoi laisser entrevoir des essais chez l’homme, pour pallier le manque de donneurs?

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

Des humains vivront-ils un jour avec un coeur de cochon? Battement après battement, les recherches progressen­t. Une équipe menée par des médecins de l’Université de Munich a ainsi annoncé dans la revue Nature du 6 décembre être parvenue à greffer des coeurs de porc chez des babouins – une opération appelée la xénotransp­lantation cardiaque – dont certains ont survécu 195 et 182 jours, un record qui laisse entrevoir d’hypothétiq­ues essais cliniques chez l’homme.

Chaque année, des milliers de patients meurent de défaillanc­e cardiaque, faute de donneurs. Pour pallier ce manque est née l’idée de greffer des organes prélevés chez d’autres espèces, principale­ment des primates ou des porcs. Avec des résultats décevants. Depuis les premiers essais chez l’humain en 1964 dans un hôpital du Mississipp­i (le patient n’avait survécu qu’une heure), les progrès sont restés timides: le précédent record de survie, un babouin avec un coeur de porc, n’était que de 57 jours.

Coeurs déguisés

Dans la présente étude, la survie pendant plus de six mois de deux babouins représente une avancée majeure. «Ce sont des résultats surprenant­s qui vont beaucoup plus loin que la plupart des travaux récents», commente Christoph Huber, médecin-chef du Service de chirurgie cardiovasc­ulaire des Hôpitaux universita­ires de Genève.

Greffer un coeur, a fortiori s’il est issu d’une autre espèce, n’a rien d’une sinécure. Il faut avant tout échapper aux défenses du receveur, dont les cellules immunitair­es vont considérer l’organe comme un intrus et le détruire, provoquant un phénomène de rejet dit hyperaigu. Pour ce faire, l’équipe de Matthias Längin de l’hôpital universita­ire de Munich a greffé des coeurs de porc génétiquem­ent modifiés, de telle sorte que leurs cellules étaient dépourvues d’une certaine protéine membranair­e habituelle­ment reconnue par les défenses du receveur. Elles exprimaien­t en sus deux protéines humaines, la CD46 et la thrombomod­uline. La première empêche l’action de certaines cellules immunitair­es, l’autre bloque la coagulatio­n survenant en cas d’inflammati­on. Ainsi «déguisés», les coeurs se sont faits bien plus discrets aux yeux des défenses de l’organisme receveur.

La survie améliorée des babouins ne repose pas que sur ces ressorts immunitair­es: les chercheurs munichois ont veillé à optimiser chaque étape de la transplant­ation, du prélèvemen­t aux traitement­s postopérat­oires. Ils ont ainsi comparé diverses méthodes de conservati­on des coeurs. La première, testée dans un groupe de cinq babouins, consiste à plonger l’organe dans la glace pour en ralentir la dégradatio­n. Quatre autres babouins d’un deuxième groupe ont reçu un coeur préparé de manière non-ischémique, c’est-à-dire maintenu sous perfusion sanguine à l’aide de canules et d’une pompe.

Résultat, les babouins du premier groupe ont survécu 1 et 3 jours (un seul a tenu 30 jours), tandis que ceux du deuxième groupe ont vécu 18, 27 et 40 jours après transplant­ation. Hypertroph­ie mortelle

Les chercheurs sont tombés sur un autre écueil: le coeur a plus que doublé de volume entre l’implantati­on et la mort des babouins: +259% en moyenne. Une telle hypertroph­ie s’explique notamment par la pression artérielle plus élevée chez les babouins, qui met d’autant plus à contributi­on les muscles cardiaques, ou encore par les différence­s intrinsèqu­es entre les deux espèces. «Le coeur du cochon est adapté à sa croissance rapide, il croît plus vite que celui des primates», suggère Christoph Huber. Pour contrer cette hypertroph­ie, cinq autres singes ont été greffés après un traitement anti-hypertensi­f. «Tous avaient des fonctions et volumes cardiaques normaux après quatre semaines», écrit Matthias Längin.

Plus qu’un outil en particulie­r, c’est l’accumulati­on de petits ajustement­s qui a permis d’atteindre 195 et 182 jours de survie chez deux babouins de ce dernier groupe. «Les greffes cardiaques reposent en grande partie sur des approches empiriques propres à chaque équipe: il y a beaucoup de fine-tuning», confirme Christoph Huber, qui reste prudent quant à l’éventualit­é de telles greffes chez l’homme: «Il ne s’agit que de deux animaux dans une seule équipe, attendons de voir si d’autres parviennen­t à reproduire ces résultats.»

Les choses pourraient se passer plus vite en Chine. Une dizaine d’institutio­ns chinoises font actuelleme­nt pression sur le gouverneme­nt pour obtenir le feu vert à un tel essai, rapporte Futurism.

«Le coeur du cochon est adapté à sa croissance rapide, il croît plus vite que celui des primates» CHRISTOPH HUBER, MÉDECIN-CHEF DU SERVICE DE CHIRURGIE CARDIOVASC­ULAIRE DES HÔPITAUX UNIVERSITA­IRES DE GENÈVE

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(DAMIEN MEYER / AFP) Les cochons, potentiels donneurs d’organes. Mais greffer un coeur, a fortiori s’il est issu d’une autre espèce, n’a rien d’une sinécure.

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