Une journée au féminin pluriel
Pour la première fois, deux femmes accèdent simultanément au Conseil fédéral. Viola Amherd (PDC/VS) et Karin Keller-Sutter (PLR/SG) ont été brillamment élues dès le premier tour La matinée s’est déroulée dans une atmosphère apaisée contrastant avec les t
Une standing-ovation pour Ueli Maurer: du jamais vu à Berne! Ce moment incroyable a pourtant ponctué ce jour de grâce, qui a débuté par l'élection au premier tour de Viola Amherd et de Karin Keller-Sutter au Conseil fédéral. La Valaisanne n'a eu besoin que d'un seul tour de scrutin pour écarter définitivement sa rivale uranaise Heidi Z'graggen (148 voix contre 60), à qui les auditions devant les autres groupes parlementaires auront été fatales. Et la Saint-Galloise Karin Keller-Sutter, comme on s'y attendait, a nettement devancé le Nidwaldien Hans Wicki par 154 voix contre 56. Une prouesse: depuis Doris Leuthard en 2006, plus aucun membre du gouvernement n'avait été désigné du premier coup. Pour les élections à candidatures multiples, il faut remonter à 1989, lorsque le radical Kaspar Villiger fut choisi pour succéder à Elisabeth Kopp alors qu'il était cocandidat avec Franz Steinegger, autre Uranais qui a raté la dernière marche. Il y a désormais trois femmes au Conseil fédéral, soit une de moins que durant l'année 2011, mais une de plus qu'en 2016, après le départ d'Eveline Widmer-Schlumpf.
Ce double succès éclair, qui n'avait été précédé d'aucune déclaration provocante de la part de quiconque, a détendu l'atmosphère. L'ambiance bon enfant a contrasté avec les tensions des précédentes élections, qui avaient été disputées et controversées. En 2017, l'Assemblée fédérale avait dû choisir entre trois candidatures dont les chances paraissaient égales: Ignazio Cassis, finalement
«Mon élection clôt ainsi un chapitre douloureux de l’histoire des femmes PLR et met fin à un vide de trente ans» KARIN KELLER-SUTTER
élu, Pierre Maudet, auteur d'une campagne à la française, et Isabelle Moret. En 2015, l'UDC était fermement déterminée à reprendre le siège laissé vacant par Eveline Widmer-Schlumpf. Elle avait présenté un candidat de chacune des trois régions linguistiques, ce qui permit au corps électoral de préférer le consensuel Vaudois Guy Parmelin au peu estimé Zougois Thomas Aeschi.
Rien de tel mercredi. Une sainte alliance informelle a permis de désigner rapidement les deux grandissimes favorites et de répondre ainsi à l'appel lancé par celles et ceux qui estimaient que le Conseil fédéral devait refléter l'équilibre des genres. «Ce résultat a satisfait les femmes et les partis qui sont d'avis qu'elles doivent être mieux représentées au gouvernement. Il a aussi soulagé tous ceux qui avaient mauvaise conscience d'avoir un Conseil fédéral trop masculin», analyse une élue socialiste. Ce malaise était notamment perceptible au PLR, qui n'a plus eu de conseillère fédérale depuis Elisabeth Kopp. «Mon élection clôt ainsi un chapitre douloureux de l'histoire des femmes PLR et met fin à un vide de trente ans», a commenté Karin Keller-Sutter, qui salue le «déroulement très serein et très calme» de cette journée.
Réglée en moins de deux heures et sans la moindre aspérité, l'élection a été teintée d'«italianità» dans la mesure où la présidente de l'Assemblée, Marina Carobbio, a dirigé les débats exclusivement dans la langue pratiquée au sud des Alpes, ce qui a été très apprécié. Elle a été marquée par quelques plages d'humour inattendues, comme celle de Johann Schneider-Ammann, qui, raillé pour la pesanteur de ses discours, s'est moqué de lui-même en maniant malice: «Si vous me demandez quel est mon meuble préféré, je répondrai que ce n'est pas un pupitre de conférence.» Ce climat de bonne humeur s'est propagé à l'intérieur du Palais fédéral, à tel point que le président du Parti socialiste, Christian Levrat, a même trouvé bon le vin blanc de Suisse orientale alors que de la petite arvine de l'Etat du Valais attendait les convives à quelques mètres du buffet saint-gallois! Le Fribourgeois espère d'ailleurs que la dynamique générée par l'élection de deux femmes mercredi influence durablement les travaux et décisions du Conseil fédéral. Le meilleur résultat depuis Delamuraz
Cette dynamique a déjà frappé le parlement. Comment expliquer autrement que par un pacte tacite de non-agression le résultat flamboyant réalisé en fin de matinée par Ueli Maurer à l'occasion de son élection à la présidence de la
Confédération pour 2019? Il a recueilli 201 voix, un score jamais réalisé par un UDC. Il est d’ailleurs devenu rare qu’un président ou une présidente soit élu avec plus de 200 suffrages. Le dernier à avoir connu un tel honneur avait été Jean-Pascal Delamuraz en 1989 (201 voix), alors que le résultat le plus faible de l’histoire fut celui de Micheline Calmy-Rey, 106 maigres suffrages en 2011. Même la gauche a soutenu le ministre des Finances UDC! Celui-ci s’en est retrouvé tout guilleret.
«Feu de paille»
Il est monté à la tribune pour prononcer un discours rassembleur, conviant tous les camps politiques à s’unir autour de «missions peut-être impossibles», comme la conclusion des négociations avec l’UE, un dossier dont il espère «qu’il ne sera plus sur notre table à la fin de l’année prochaine. Confirmant son peu de goût pour le clinquant et le blingbling, il a rappelé que l’un des rôles du président de la Confédération était de «représenter la Suisse à l’intérieur et à l’extérieur», ne manquant pas de donner une intonation plus forte au mot «intérieur». «Ce serait bien si nous pouvions répandre ensemble un peu de joie et de plaisir afin que les gens se disent: hé, dis donc, à Berne il y a une superéquipe»! déclamation ponctuée par des rires et des applaudissements nourris. Ce climat bon enfant durera-t-il? «Je n’ai jamais ressenti une ambiance aussi décontractée. Mais je crains que cela ne soit qu’un feu de paille», confie un parlementaire du camp bourgeois. Il fait allusion au débat de jeudi au Conseil national sur le Pacte de l’ONU pour les migrations. Le climat sera déjà moins serein. Et les europhiles risquent de se réveiller demain avec un gouvernement plus eurosceptique que l’actuel, si l’on en croit les déclarations des nouvelles élues, notamment celles de Karin Keller-Sutter.