A pas comptés sur le chemin de la parité
En 2019, la Suisse comptera trois conseillères fédérales. Neuf pays ont déjà atteint l’équilibre des genres au sein de leur exécutif. Une évolution de fond?
Même si la Suisse n'y est pas encore avec ses trois conseillères fédérales, il n'y a jamais eu autant de gouvernements paritaires dans le monde. Leur nombre reste modeste. Canada, Colombie, Costa Rica, Ethiopie, Nicaragua, Rwanda, Seychelles, Espagne et Suède: neuf exécutifs comptent autant de femmes que d'hommes, soit 6% des gouvernements de la planète. Mais, en 2018, six nouveaux gouvernements paritaires ont été formés. Un record, se réjouissaient en octobre dernier l'agence ONU Femmes et l'Union interparlementaire internationale, les deux instances qui suivent l'évolution de la participation des femmes en politique dans le monde.
«Du jour au lendemain»
«C'est une évolution de fond, assure Julie Ballington, conseillère politique à ONU Femmes. De nos jours, il paraît de plus en plus inacceptable d'avoir des gouvernements exclusivement masculins.» En plus des pays cités, de nombreux autres gouvernements comptent au moins 30% de femmes, comme ce sera le cas en Suisse dès le 1er janvier 2019 avec l'entrée en fonction de Karin Keller-Sutter et Viola Amherd. On peut citer la Nouvelle-Zélande, dirigée depuis 2017 par Jacinda Ardern, 38 ans, qui a imposé un cabinet proche de la parité; ou le gouvernement français, qui était paritaire jusqu'au dernier remaniement ministériel. «Il y a en moyenne 24% de députées dans les parlements du monde entier», poursuit Julie Ballington, un pourcentage qui augmente très lentement. «Pour les ministres, les progrès sont plus spectaculaires, cela peut arriver du jour au lendemain car, la plupart du temps, ce sont des nominations, pas des élections. Il suffit de volonté politique.»
Le bond de ministres féminines observé en 2018 a commencé au Costa Rica, où le président a présenté en avril dernier un gouvernement majoritairement féminin, avec 14 femmes et 11 hommes. En juin, le nouveau premier ministre espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, a confié 11 ministères sur 17 à des femmes, soit deux tiers des portefeuilles. Il n'y avait qu'un seul précédent: en Finlande en 2017.
Ce volontarisme n'est pas le monopole de la gauche, comme en témoigne le président colombien, Ivan Duque. Annonçant son gouvernement en août 2018, il s'est entouré d'autant de femmes que d'hommes, là aussi une première dans l'histoire du pays. Les femmes ont obtenu, entre autres, les Ministères de la justice, de l'intérieur, du travail, des mines et de l'énergie.
En octobre 2018, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, réformateur pressé qui a fait la paix avec l'Erythrée voisine, a lui aussi nommé un exécutif respectant strictement la parité des genres. Les femmes gèrent des ministères clés, comme la Défense, la Sécurité, les Transports, le Commerce et le Travail.
Jeunesse et parité
L'Ethiopie est le second pays africain à atteindre cet objectif après le Rwanda, bon élève en matière de participation des femmes en politique depuis le génocide de 1994. Au lendemain des massacres, la société rwandaise s'est retrouvée avec une grande majorité de femmes. Comme 23 autres pays, mais aucun en Europe, le Rwanda a introduit des quotas au parlement pour les femmes, avec plus de 60% des sièges qui leur sont réservés.
Précision importante: le pays des Grands Lacs est dirigé d'une main de fer par le président Paul Kagame. L'ONU se contente de suivre l'évolution du nombre de femmes ministres mais ne se prononce pas sur leur pouvoir réel. Le Rwanda n'est pas le seul pays autoritaire à être doté d'un gouvernement paritaire, c'est aussi le cas du Nicaragua de l'inamovible Daniel Ortega, visé depuis des mois par une contestation durement réprimée.
Il y a aussi du marketing politique
Parmi les démocraties, il est à remarquer que les derniers gouvernements paritaires ont été nommés par des hommes. Justin Trudeau au Canada, Pedro Sanchez en Espagne, Ivan Duque en Colombie ou Abiy Ahmed en Ethiopie. Le plus vieux d'entre eux, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, va bientôt avoir 47 ans. «Cette nouvelle génération a, elle aussi, dû briser des barrières pour s'imposer», avance Julie Ballington, pour expliquer pourquoi ces politiciens ont instauré la parité dans leur équipe.
La spécialiste n'est toutefois pas dupe. Ces nominations relèvent aussi du marketing politique. Et il est encore un peu tôt pour tirer le bilan de ces gouvernements paritaires sur l'avancement du droit des femmes.
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«Il y a en moyenne 24% de députées dans les parlements. Pour les ministres, les progrès sont plus spectaculaires, car, la plupart du temps, ce sont des nominations, pas des élections» JULIE BALLINGTON, CONSEILLÈRE POLITIQUE À ONU FEMMES