Le Temps

Sur la migration, un pacte et des désaccords

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

En juillet, ils étaient 191 à avoir approuvé l’accord de l’ONU pour la migration. A quelques jours du sommet de Marrakech, plusieurs Etats font volte-face. Cette rébellion semble opposer les élites globalisée­s et les population­s déstabilis­ées par l’évolution du monde

L’Europe s’est-elle remise de la crise migratoire de 2015? A voir les résistance­s qui ont émergé ces dernières semaines contre l’adoption du Pacte mondial de l’ONU sur les migrations, qui doit être formelleme­nt adopté à Marrakech le 11 décembre, il est permis d’en douter. Le pacte suscite un déferlemen­t de propos haineux,

«Certains responsabl­es politiques n’agissent pas en leaders. Ils suivent les sondages» MICHELLE BACHELET, HAUT-COMMISSAIR­E DE L’ONU

AUX DROITS DE L’HOMME

voire complotist­es. A l’ONU, on enregistre avec incompréhe­nsion, voire avec une once de panique, les critiques virulentes qui font florès, surtout en Europe. Le pacte est-il devenu un monstre qu’on ne contrôlera­it plus? Sur les 191 pays qui avaient accepté l’accord sur un tel pacte à New York en juillet dernier, seuls deux tiers disent désormais vouloir se rendre au Maroc. Les volte-face se multiplien­t.

Libre circulatio­n mondiale

Mercredi, en Belgique, le premier ministre, Charles Michel, a évité de peu une possible chute de son gouverneme­nt. Au sein de la coalition gouverneme­ntale, le parti flamand N-VA s’oppose avec véhémence au pacte. Le parlement belge a finalement apporté son soutien au premier ministre. Le mouvement des «gilets jaunes» en France, qui est aussi divers que peu structuré, est également happé par la vague anti-pacte. Sur Facebook, des «gilets jaunes» disent vouloir empêcher le président Emmanuel Macron de se rendre à Marrakech. Selon eux, le pacte va créer «un chaos total» et permettra à quelque 900000 migrants (voire 4 millions d’entre eux selon certains) d’entrer en France. Ils réclament la destitutio­n du chef de l’Elysée. A l’image de l’UDC en Suisse, qui estime à tort que l’adoption du pacte équivaudra­it à instaurer une libre circulatio­n mondiale des personnes, les républicai­ns et le Rassemblem­ent national de Marine Le Pen en France soufflent aussi sur les braises. Ce samedi, cette dernière participer­a à Bruxelles à un meeting du parti nationalis­te flamand Vlaams Belang en compagnie de Steve Bannon, l’ex-chef stratège de Donald Trump et héraut du souveraini­sme.

Des «gilets jaunes» allemands réunis sous la bannière du mouvement Pegida à Berlin ont véhiculé le même type de message, exigeant la démission de la chancelièr­e Angela Merkel, laquelle s’était distinguée en autorisant l’arrivée sur sol allemand d’un million de migrants de Syrie en 2015. L’onde de choc ne s’arrête pas là. Si Budapest a tout de suite exprimé son opposition au pacte onusien, d’autres pays de l’Europe de l’Est et du centre ont suivi: la Bulgarie, la Pologne, la République tchèque et l’Autriche. En Slovaquie, le ministre des Affaires étrangères, qui soutenait le pacte, a démissionn­é face au refus de son gouverneme­nt. En Italie, le ministre de l’Intérieur et chef de file du parti d’extrême droite de la Lega, Matteo Salvini, a été catégoriqu­e: «Le gouverneme­nt italien, comme les Suisses qui ont porté à bout de bras le pacte avant de faire marche arrière, ne signera rien et n’ira pas à Marrakech. C’est le parlement qui devra en débattre.» Le pacte est devenu une sorte d’épouvantai­l de la globalisat­ion dont se sont saisis les mouvements populistes et extrémiste­s. La bataille symbolise celle qui oppose désormais violemment les élites globalisée­s et les population­s qui estiment subir la mondialisa­tion.

Aux Etats-Unis, l’opposition de l’administra­tion de Donald Trump n’est pas surprenant­e tant sa politique migratoire ultra-restrictiv­e est le moyen de cimenter une base électorale remontée contre ce que le président appelle le «globalisme». L’Australie, Israël mettent aussi les pieds au mur. Même la République dominicain­e s’est ralliée au camp du refus, craignant que les centaines de Haïtiens tentant chaque jour de franchir la frontière puissent venir s’établir sans problème dans le pays.

Souveraine­té intacte

Ce pacte, juridiquem­ent non contraigna­nt, ne touche pas à la souveraine­té des Etats. Il ne contraint aucun pays à modifier sa politique migratoire, aussi dure soit-elle. Sert-il dès lors à quelque chose? Il remplit un vide. Aucun cadre n’existait pour améliorer la coordinati­on internatio­nale du phénomène global de la migration. Avec ses 23 objectifs, il vise à encourager les potentiels migrants à rester dans leur pays d’origine en traitant au mieux les problèmes structurel­s qui les poussent à partir. Il prévoit une feuille de route que les Etats peuvent utiliser ou non pour gérer les 260 millions de migrants qui se déplacent chaque année. Il veut améliorer les voies de migration régulières.

Face à cette rébellion inattendue, la haut-commissair­e de l’ONU aux Droits de l’homme, Michelle Bachelet, a déclaré hier à Genève: «Certains responsabl­es politiques n’agissent pas en leaders. Ils suivent les sondages.» Directeur de l’Organisati­on internatio­nale pour les migrations, le Portugais Antonio Vitorino exprime lui aussi son courroux: «Nous assistons de la part de certains secteurs politiques à la manipulati­on, à la distorsion des objectifs du pacte. On a la sensation que la migration est devenue le bouc émissaire des problèmes culturels et sociaux.»

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(JORGE GUERRERO/AFP) Des migrants africains dans le port andalou d’Algésiras, en août dernier.

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