Le Temps

Aux abois, le SPD remet en cause les réformes de Schröder

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

ALLEMAGNE Traversant une crise existentie­lle, les sociaux-démocrates relancent le débat autour de la réforme du chômage de longue durée, la plus emblématiq­ue des réformes d’inspiratio­n libérale lancées par le chancelier Schröder

Le Parti social-démocrate allemand a un nouveau chantier. Aux abois après deux débâcles électorale­s en Hesse et en Bavière en octobre, crédité de seulement 15% des intentions de vote dans les sondages, le plus vieux parti allemand traverse une crise existentie­lle. Convaincue que le déclin a débuté avec les réformes d’inspiratio­n libérale du gouverneme­nt de Gerhard Schröder (1998-2005), la direction du SPD veut revenir sur la plus emblématiq­ue de ces réformes, celle de l’indemnisat­ion des chômeurs de longue durée, connue sous le nom de Hartz IV.

La cheffe du parti Andrea Nahles, annonçant une «réforme de l’Etat social» à l’horizon 2025, dit vouloir remplacer Hartz IV par un revenu «citoyen» «clair, simple, et sans sanctions». Le SPD se rapproche sur ce point des Verts, qui viennent d’intégrer le principe d’un revenu de base à leur programme. En interne, les propos d’Andrea Nahles ont relancé un vif débat, à la hauteur du traumatism­e qu’avait représenté l’adoption de l’Agenda 2010 pour la social-démocratie allemande.

Petit retour en arrière. En 2002, l’Allemagne est «l’homme malade de l’Europe». Le pays compte quelque 4 millions de chômeurs, la croissance et les revenus sont en chute. Les faiblesses structurel­les de la plus importante économie de la zone menacent l’ensemble de la jeune zone euro. Les sociaux-démocrates et les Verts au pouvoir répondent par la création d’une commission chargée d’élaborer des propositio­ns pour réduire le chômage de moitié. Peter Hartz, membre du SPD, syndicalis­te encarté chez IG Metall et directeur du personnel de Volkswagen, est appelé à la présider. Une série de lois d’inspiratio­n libérale réformant le marché du travail – le coeur du dispositif de l’Agenda 2010 – porteront son nom.

Refuser un poste est sanctionné

La plus emblématiq­ue est la quatrième de ces mesures, «Hartz IV», qui entre en vigueur début 2005 et concerne les chômeurs à la recherche d’un emploi depuis plus d’un an. Ils ne toucheront plus que le minimum social (416 euros par mois aujourd’hui) au lieu d’une lente réduction des indemnités calculées sur la base de leur dernier salaire, comme c’était le cas jusqu’alors. Les conjoints et les enfants touchent eux aussi une indemnité. Le logement et le chauffage sont pris en charge par la collectivi­té. La reprise d’un emploi est encouragée; le refus d’un poste sanctionné.

«La première conséquenc­e de Hartz IV a été une explosion du nombre des bénéficiai­res, en comptant conjoints et enfants, à presque 7 millions de personnes! rappelle Peter Kupka, de l’institut IAB, dépendant de l’Office fédéral pour l’emploi. Le chômage n’a commencé à reculer qu’en 2006 pour ensuite stagner, avant de reculer à nouveau à partir de 2011.» De 12% en 2005, le taux de chômage est passé à moins de 4% aujourd’hui.

Pour Angela Merkel – qui succède à un Gerhard Schröder contraint au départ face à l’impopulari­té de ses réformes – débute une longue phase de prospérité économique. Pour le SPD, c’est le début d’une lente descente aux enfers. Une partie de sa base se tourne vers les néo-communiste­s de Die Linke, résolument opposés aux réformes de Schröder. Hartz IV est accusé d’aggraver les inégalités sociales, stigmatise­rait des familles entières… «Le SPD ne pourra renaître que s’il tourne le dos à Hartz IV», résume le politologu­e Christoph Butterwegg­e.

Trois courants au sein du parti

En interne toutefois, la propositio­n d’Andrea Nahles se heurte à bien des résistance­s. «Je ne crois pas que les ouvriers trouveraie­nt juste qu’un bénéficiai­re de l’aide sociale ne soit pas sanctionné s’il refuse un emploi. On ne peut pas mettre sur le même plan les personnes ayant perdu leur emploi après avoir travaillé toute leur vie et ceux qui n’ont jamais travaillé», souligne l’ancien président du SPD Sigmar Gabriel. A ses yeux, il faudrait certes réformer Hartz IV pour rendre la mesure plus sociale. Mais certaineme­nt pas la supprimer purement et simplement.

Pour l’heure, le débat interne autour de Hartz IV accentue les divergence­s entre les trois courants – conservate­urs, centristes et de gauche – au sein du parti. Les premiers souhaitent le maintien de Hartz IV, qui a relancé l’emploi. Les seconds sont favorables à une refonte de la prestation dans un sens moins tracassier pour les bénéficiai­res. Les derniers, plus proches des néo-communiste­s, souhaitent la suppressio­n pure et simple du système. De longs mois de débats internes en perspectiv­e pour le SPD, qui souhaite définir sa position sur Hartz IV avant les élections européenne­s du printemps.

«On ne peut pas mettre sur le même plan les personnes ayant perdu leur emploi après avoir travaillé toute leur vie et ceux qui n’ont jamais travaillé»

SIGMAR GABRIEL, ANCIEN PRÉSIDENT DU SPD

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