Le Temps

Colombie, la violence malgré la paix

Le retrait de la guérilla a ouvert la porte à de nouvelles violences. Une situation «dramatique», juge le rapporteur spécial de l’ONU

- ANNE PROENZA, BOGOTA @anproenza

tCela faisait dix ans qu’un rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme n’était pas venu officielle­ment – faute d’invitation du gouverneme­nt – en Colombie. Au terme de la mission de quatorze jours que le Français Michel Forst vient d’effectuer dans le pays au nom du Conseil des droits de l’homme de l’ONU et après avoir rencontré dans toutes les régions près de «250 défenseurs, hommes et femmes», il estime que «la situation, plus que grave, est absolument dramatique». Les larmes aux yeux, il a constaté que, le temps de son séjour, quatre personnes ont été assassinée­s, dont deux appartenan­t à des organisati­ons qu’il avait rencontrée­s. Dimanche 2 décembre, Hector Garcia et son fils Braulio Garcia ont été assassinés à Ricaurte dans le départemen­t du Nariño (sudouest) à l’intérieur de la Réserve indigène El Palmar du peuple Awa. Le premier était un inlassable défenseur des droits des Awas, fondateur de l’associatio­n Camawari, et le second venait d’être nommé, à 28 ans, gouverneur de cette communauté indigène.

Leurs morts s’ajoutent aux 226 assassinat­s de leaders sociaux – c’est-à-dire défenseurs des droits de l’homme, militants pour la défense de l’environnem­ent, ou leaders locaux – comptabili­sés entre le 1er janvier et le 17 novembre par l’Institut pour le développem­ent et la paix (Indepaz), une des ONG qui établit jour après jour ce triste décompte. «Les larmes aux yeux»

«J’ai eu les larmes aux yeux en rencontran­t des femmes, des maris, des frères et soeurs de disparus. J’ai eu mal en entendant les population­s indigènes me raconter les terribles souffrance­s auxquelles elles sont confrontée­s et les témoignage­s effrayants des population­s afro-colombienn­es. C’est un cadre terrifiant», a souligné Michel Forst, dénonçant aussi «le manque d’investigat­ion» et «l’impunité» prévalant dans la majorité de ces crimes.

Les associatio­ns de défense des droits de l’homme ont commencé à tirer la sonnette d’alarme avant la signature de l’accord de paix de novembre 2016 entre le gouverneme­nt et l’ancienne guérilla des Forces armées révolution­naires de Colombie, devenue après cinquante ans de guerre le parti de la Force alternativ­e révolution­naire du Commun (Farc). Mais le gouverneme­nt précédent a longtemps fermé les yeux sur ces violences systématiq­ues contre les leaders sociaux car cela assombriss­ait le panorama d’un pays inaugurant une ère de paix après tant d’années de guerre. Le vide laissé par la guérilla dans d’immenses zones du pays, qui n’a pas été comblé par l’Etat, a en effet ouvert de nouveaux fronts de violences, notamment dans la région du Pacifique au sud-ouest, ou dans celle du Catatumbo au nord-est, deux territoire­s stratégiqu­es pour la culture et le trafic de cocaïne. Mais pas seulement: la bataille pour le contrôle des territoire­s, la réappropri­ation des terres, les appétits pour les ressources minières sont autant de mobiles pour s’en prendre aux population­s civiles et à ceux qui les défendent.

«Encore plus d’attaques»

«La situation était dramatique avant la paix. Mais malgré le déclin important du nombre d’homicides, il y a aujourd’hui encore plus d’attaques contre les défenseurs eux-mêmes. Cela s’explique dans les régions abandonnée­s par les FARC, où on a une invasion de groupes armés – paramilita­ires, milices de dissidents de la guérilla, gangsters, tueurs, mafias – qui profitent de la place laissée vacante. Tant que l’Etat ne sera pas présent dans ces lieux, les attaques continuero­nt», souligne Michel Forst. Le rapporteur a aussi évoqué les multinatio­nales du secteur agroalimen­taire ou minier dont les pratiques alimentent directemen­t les violences. Ces entreprise­s, dont il a pour l’instant tu les noms, devraient être sommées de s’expliquer dans les mois qui viennent.

Le rapporteur a remis des recommanda­tions au gouverneme­nt de droite du président Ivan Duque, au pouvoir depuis août dernier, prenant note «de sa bonne volonté» sachant que celui-ci vient d’annoncer un Plan d’action opportune (PAO) pour la protection des défenseurs des droits de l’homme. Mais il attend surtout «des résultats», tant la situation nécessite à ses yeux «une vraie politique globale de prévention». Michel Forst devrait revenir en Colombie dans quelques mois pour refaire un état des lieux. Un rapport complet des Nations unies sur le sujet est attendu en mars 2020.

«J’ai eu mal en entendant les population­s indigènes me raconter les souffrance­s auxquelles elles sont confrontée­s et les témoignage­s effrayants des population­s afrocolomb­iennes. C’est un cadre terrifiant» MICHEL FORST, RAPPORTEUR SPÉCIAL DE L’ONU

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