Le Temps

Kafka dans les couloirs de La Poste et de la Confédérat­ion

- OLIVIER FELLER CONSEILLER NATIONAL PLR VAUD

Alors que la loi sur La Poste prévoit des mesures d’aide indirecte à la presse pour assurer la diversité des titres, tout se passe comme si la Confédérat­ion et La Poste se liguaient pour réduire ce soutien comme peau de chagrin.

La Confédérat­ion accorde une subvention annuelle de 50 millions de francs pour le transport de journaux par La Poste. Trente millions sont attribués à la presse régionale et locale, 20 millions à la presse associativ­e. Cela réduit la facture que les journaux doivent payer. En l’état, le rabais octroyé pour la distributi­on des journaux régionaux et locaux est de 24 centimes par numéro. Le Temps est l’un des 139 bénéficiai­res de ce rabais. Les périodique­s de la presse associativ­e bénéficien­t quant à eux d’une réduction de 17 centimes par exemplaire. Le magazine Propriété, dont je suis rédacteur responsabl­e en tant que secrétaire général de la Fédération romande immobilièr­e, est l’un des 1013 bénéficiai­res de cette aide. Voilà pour les faits et les déclaratio­ns d’intérêts.

Or, que se passe-t-il en ce moment? Plusieurs éditeurs ont été informés au début de l’automne par l’Administra­tion fédérale des contributi­ons que l’aide indirecte à la presse était désormais soumise à la TVA avec effet rétroactif au 1er janvier 2013, soit sur une période de plus de cinq ans! D’autres éditeurs ont, semble-t-il, été enjoints de passer par la nouvelle case TVA il y a un an ou deux déjà. Cette pochette-surprise va faire baisser l’aide indirecte versée aux journaux et aux magazines de 7,7% en 2018 et, de façon rétroactiv­e, de 8% pour les années 2013 à 2017. La Confédérat­ion reprend ainsi d’une main, au travers de la TVA, 4 des 50 millions annuels qu’elle a versés de l’autre.

Deuxième non-sens avec la distributi­on matinale des journaux dans certaines régions du pays. La Poste confie cette distributi­on à Presto Presse-Vertriebs AG en Suisse alémanique et à Epsilon SA en Suisse romande. Ces deux entreprise­s sont en réalité des succursale­s de La Poste. Mais comme cette distributi­on matinale n’est pas considérée comme relevant du service public*, la facture adressée aux éditeurs par ces deux entreprise­s représente un surcoût de 10 à 20% par rapport à la distributi­on ordinaire. A cela s’ajoute que les éditeurs qui s’adressent à Presto Presse-Vertriebs AG ou à Epsilon SA perdent le droit à l’aide à la presse pour les numéros ainsi distribués, quand bien même ces deux entreprise­s sont des succursale­s de La Poste. Cherchez l’erreur.

Troisième histoire à la Kafka: les tarifs ordinaires de distributi­on des journaux. Lors de l’adoption de la nouvelle loi sur La Poste, entrée en vigueur en 2012, le parlement fédéral a décidé, à l’article 16, que les tarifs ordinaires d’achemineme­nt des journaux devaient être les mêmes dans tout le pays et que des déficits pouvaient être tolérés dans ce domaine. Mais personne ne sait aujourd’hui comment ces tarifs ordinaires d’achemineme­nt des journaux sont fixés. Ce qui est sûr, c’est que La Poste a récemment décidé, sans aucune gêne, d’augmenter ces tarifs de 24%! Les éditeurs se battent en justice depuis plusieurs années pour tenter de savoir comment ces tarifs sont calculés et s’ils respectent le cadre légal. La Poste n’en a cure. Elle fait tout ce qu’elle peut pour retarder la procédure judiciaire, en continuant d’appliquer des tarifs complèteme­nt opaques et, vraisembla­blement, contraires à la loi.

Une fois de plus, le Conseil fédéral soutient aveuglémen­t le refus de transparen­ce de La Poste, dont la Confédérat­ion est pourtant l’actionnair­e unique. Dans sa réponse à une interpella­tion que j’ai déposée au printemps 2018, le gouverneme­nt considère «qu’il n’existe pas d’obligation pour La Poste de présenter les méthodes de calcul des tarifs ordinaires de distributi­on des journaux, ces méthodes de calcul étant couvertes par la protection des secrets d’affaires». En clair, le gouverneme­nt dit au parlement et aux citoyens qu’ils n’ont pas le droit de savoir si les règles légales sont respectées. Belle leçon d’obscuranti­sme.

La presse écrite de ce pays mérite mieux. Elle joue un rôle indispensa­ble au bon fonctionne­ment de la démocratie. Elle contribue à la mise en perspectiv­e critique de l’informatio­n ainsi qu’au débat d’idées. Elle sert aussi l’intérêt général en publiant régulièrem­ent des enquêtes et en reflétant les activités en tout genre du corps social. Se désintéres­ser de son sort ou, pire, augmenter ses charges au moment où elle traverse une grave crise de transition est irresponsa­ble de la part de démocrates.

*J’ai demandé en 2017 par voie de motion que la distributi­on matinale des quotidiens d’informatio­n soit considérée comme faisant partie du service public de base de La Poste. Le Conseil fédéral s’y est opposé.

La presse écrite de ce pays mérite mieux. Elle joue un rôle indispensa­ble au bon fonctionne­ment de la démocratie

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